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mais prêtez vous à tout,“ dit-il à la jeune fille, „et exécutez bien surtout ce que je vais vous préscrire, il fit mettre la fille toute nue, défit sa coiffure, et laissa pendre ses cheveux qu’elle avait superbes, ensuite il l’étendit sur le matelas au milieu des cierges, lui enjoignit de contrefaire la morte, et surtout de prendre sur elle pendant toute la scène, de ne bouger ni de respirer que le moins qu’elle pourrait, „car si malheureusement mon maître qui va se figurer que vous êtes réellement morte, s’aperçoit de la feinte, il sortira furieux et vous ne serez sûrement pas payée.“ Dès qu’il eut placé la demoiselle sur le matelas dans l’attitude d’un cadavre, il fit prendre à sa bouche et à ses yeux les impressions de la douleur, laissa flotter les cheveux sur le sein nu, plaça près d’elle un poignard et lui barbouilla du côté du cœur une place large comme la main avec du sang de poulet — „surtout n’ayez aucune crainte,“ dit-il encore à la jeune fille, „vous n’avez rien à dire, rien à faire, il ne s’agit que d’être immobile et de ne prendre votre haleine que dans les moments où vous le verrez moins près de vous. Retirons nous maintenant,“ me dit le valet, „venez, Madame ; afin que vous ne soyez point inquiète de votre demoiselle, je vais vous placer dans un endroit dont vous pourrez entendre et observer toute la scène.“ Nous sortons laissant la fille d’abord très émue, mais néanmoins un peu plus rassurée par le propos du valet de chambre, il me mène dans un cabinet voisin de l’appartement où le mystère allait se célébrer, et à travers une cloison mal jointe et sur laquelle la teinture noire était appliquée, je pus tout entendre, observer me devenait encore plus aisé ; car cette teinture n’étant que de crêpe je distinguais