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nettoyer trois fois la ſemaine cet appartement de ſix piéces ; de faire nos lits, de répondre à la porte, de poudrer ma perruque, de coëffer ma femme, de ſoigner le chien & le perroquet, de veiller à la cuiſine, d’en nettoyer les uſtenciles, d’aider à ma femme quand elle nous fait un morceau à manger, & d’employer quatre ou cinq heures par jour à faire du linge, des bas, des bonnets & autres petits meubles de ménage ; vous voyez que ce n’eſt rien, Théreſe, il vous reſtera bien du temps, nous vous permettrons d’en faire uſage pour votre compte, pourvu que vous ſoyiez ſage, mon enfant, diſcrette, économe ſur-tout, c’eſt l’eſſentiel.

Vous imaginez aiſément, Madame, qu’il fallait ſe trouver dans l’affreux état où j’étais pour accepter une telle place ; non-ſeulement il y avait infiniment plus d’ouvrage que mes forces ne me permettaient d’entreprendre, mais pouvais-je vivre avec ce qu’on m’offrait ? Je me gardai pourtant bien de faire la difficile, & je fus inſtallée dès le même ſoir.

Si ma cruelle ſituation permettait que je vous amuſaſſe un inſtant, Madame, quand je ne dois penſer qu’à vous attendrir, j’oſerais vous raconter quelques traits d’avarice dont je fus témoin dans cette maiſon ; mais une cataſtrophe ſi terrible pour moi m’y attendait dès la ſeconde année, qu’il m’eſt bien difficile de vous arrêter ſur des