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point là l’ouvrage d’un ſexe faible & délicat, nous dit-il avec bonté ; c’eſt à des animaux à ſervir cette machine ; le métier que nous faiſons eſt aſſez criminel, ſans offenſer encore l’Être ſuprême par des atrocités gratuites. Il nous établit dans le château, & me mit, ſans rien exiger de moi, en poſſeſſion des ſoins que rempliſſait la ſœur de Roland ; les autres femmes furent occupées à la taille des piéces de monnoie, métier bien moins fatigant ſans doute & dont elles étaient pourtant récompenſées, ainſi que moi, par de bonnes chambres & une excellente nourriture.

Au bout de deux mois, Dalville ſucceſſeur de Roland nous apprit l’heureuſe arrivée de ſon confrere à Veniſe ; il y était établi, il y avait réaliſé ſa fortune, & y jouiſſait de tout le repos, de tout le bonheur dont il avait pu ſe flatter. Il s’en fallut bien que le ſort de celui qui le remplaçait fût le même. Le malheureux Dalville était honnête dans ſa profeſſion, c’en était plus qu’il ne fallait pour être promptement écraſé.

Un jour que tout était tranquille au château, que ſous les loix de ce bon maître, le travail, quoique criminel, s’y faiſait pourtant avec gaieté, les portes ſont enfoncées, les foſſés eſcaladés, & la maiſon, avant que nos gens aient le temps de ſonger à leur défenſe, ſe trouve remplie de plus de ſoixante cavaliers de Maréchauſſée. Il fallut ſe rendre ; il n’y avait pas moyen de faire autre-