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en conſidérant les veſtiges de ſa rage. Quand ſes paſſions furent aſſouvies, je voulus profiter de l’inſtant de calme pour le ſupplier d’adoucir mon ſort. Hélas ! j’ignorais que ſi dans de telles ames le moment du délire rend plus actif le penchant qu’elles ont à la cruauté, le calme ne les en ramene pas davantage pour cela aux douces vertus de l’honnête homme ; c’eſt un feu plus ou moins embraſé par les alimens dont on le nourrit, mais qui ne brûle pas moins quoique ſous la cendre,

— Et de quel droit, me répondit Roland, prétends-tu que j’allege tes chaînes ? Eſt-ce en raiſon des fantaiſies que je veux bien me paſſer avec toi ? Mais vais-je à tes pieds demander des faveurs de l’accord deſquelles tu puiſſes implorer quelques dédommagemens ? Je ne te demande rien, je prends, & je ne vois pas que, de ce que j’uſe d’un droit ſur toi, il doive en réſulter qu’il me faille abſtenir d’en exiger un ſecond ; il n’y a point d’amour dans mon fait : l’amour eſt un ſentiment chevalereſque ſouverainement mépriſé par moi, & dont mon cœur ne ſentit jamais les atteintes ; je me ſers d’une femme par néceſſité, comme on ſe ſert d’un vaſe rond & creux dans un beſoin différent ; mais n’accordant jamais à cet individu, que mon argent & mon autorité ſoumettent à mes déſirs, ni eſtime ni tendreſſe ; ne devant ce que j’enleve qu’à moi-même, & n’exigeant jamais de lui que de la ſoumiſſion, je ne puis être tenu d’après cela à lui