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prendrons demain, nous pourrons arriver chez moi le même ſoir.

Abſolument décidée à profiter des ſecours que le Ciel ſemblait m’envoyer, j’aide Roland à ſe mettre en marche, je le ſoutiens pendant la route, & nous trouvons effectivement à deux lieues de là, l’auberge qu’il avait indiquée. Nous y ſoupons honnêtement enſemble ; après le repas, Roland me recommande à la maitreſſe du logis, & le lendemain ſur deux mules de louage qu’eſcortait un valet de l’auberge, nous gagnons la frontiere du Dauphiné, nous dirigeant toujours vers les montagnes. La traite étant trop longue pour la faire en un jour, nous nous arrêtâmes à Virieu, où j’éprouvai les mêmes ſoins, les mêmes égards de mon patron, & le jour d’enſuite nous continuames notre marche toujours dans la même direction. Sur les quatre heures du ſoir, nous arrivames au pied des montagnes : là, le chemin devenant preſqu’impratiquable, Roland recommanda au muletier de ne pas me quitter de peur d’accident, & nous pénétrames dans les gorges. Nous ne fimes que tourner, monter & deſcendre pendant plus de quatre lieues, & nous avions alors tellement quitté toute habitation & tout chemin frayé, que je me crus au bout de l’univers : un peu d’inquiétude vint me ſaiſir malgré moi ; Roland ne put s’empêcher de le voir, mais il ne diſait mot, & ſon ſilence m’effrayait encore plus. Enfin nous vimes

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