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reſte, je le ſacrifie pour ce malheureux. Ces premiers ſoins remplis, je lui donne à boire un peu de vin : cet infortuné a tout-à-fait repris ſes ſens ; je l’obſerve & je le diſtingue mieux. Quoiqu’à pied, & dans un équipage aſſez leſte, il ne paraiſſait pourtant pas dans la médiocrité, il avait quelques effets de prix, des bagues, une montre, des boîtes, mais tout cela fort endommagé de ſon aventure. Il me demande, dès qu’il peut parler, quel eſt l’ange bienfaiſant qui lui apporte des ſecours, & ce qu’il peut faire pour lui en témoigner ſa gratitude. Ayant encore la ſimplicité de croire qu’une ame enchaînée par la reconnaiſſance devait être à moi ſans retour, je crois pouvoir jouir en ſûreté du doux plaiſir de faire partager mes pleurs à celui qui vient d’en verſer dans mes bras : je l’inſtruis de mes revers, il les écoute avec intérêt, & quand j’ai fini par la derniere cataſtrophe qui vient de m’arriver, dont le récit lui fait voir l’état de miſere où je me trouve : — que je ſuis heureux, s’écrie-t-il, de pouvoir au moins reconnaître tout ce que vous venez de faire pour moi : je m’appelle Roland, continue cet aventurier, je poſſede un fort beau château dans la montagne, à quinze lieues d’ici, je vous invite à m’y ſuivre ; & pour que cette propoſition n’alarme point votre délicateſſe, je vais vous expliquer tout de ſuite à quoi vous me ſerez utile. Je ſuis garçon, mais j’ai une ſœur que j’aime

  Tome II.
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