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l’éclat, j’euſſe peut-être payé par quelques brutalités de ſa part la hardieſſe de lui avoir parlé trop vrai… je ſortis. On amenait au même inſtant à ce débauché une de ces malheureuſes victimes de ſa ſordide crapule. Une des femmes dont il me propoſait de partager l’horrible état conduiſait chez lui une pauvre petite fille d’environ neuf ans, dans tous les attributs de l’infortune & de la langueur : elle paraiſſait avoir à peine la force de ſe ſoutenir… Oh ciel ! penſai-je en voyant cela, ſe peut-il que de tels objets puiſſent inſpirer d’autres ſentimens que ceux de la pitié ! Malheur à l’être dépravé qui pourra ſoupçonner des plaiſirs ſur un ſein que le beſoin conſume ; qui voudra cueillir des baiſers ſur une bouche que la faim deſſeche, & qui ne s’ouvre que pour le maudire !

Mes larmes coulerent : j’aurais voulu ravir cette victime au tigre qui l’attendait, je ne l’oſai pas. L’aurais-je pu ? Je regagnai promptement mon auberge, auſſi humiliée d’une infortune qui m’attirait de telles propoſitions, que révoltée contre l’opulence qui ſe haſardait à les faire.

Je partis de Lyon le lendemain pour prendre la route du Dauphiné toujours remplie du fol eſpoir qu’un peu de bonheur m’attendait dans cette Province. À peine fus-je à deux lieues de Lyon, à pied comme à mon ordinaire, avec une couple de chemiſes & quelques mouchoirs dans mes poches, que je rencontrai une vieille femme qui m’aborda