Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 32 )


de ſa femme ? & quels titres oſe alléguer cette femme pour l’exiger de ſon mari ? La néceſſité de ſe rendre mutuellement tels, ne peut légalement exiſter qu’entre deux êtres également pourvus de la faculté de ſe nuire, & par conſéquent entre deux êtres d’une même force : une telle aſſociation ne ſaurait avoir lieu, qu’il ne ſe forme auſſitôt un pacte entre ces deux êtres de ne faire chacun vis-à-vis l’un de l’autre, que la ſorte d’uſage de leur force qui ne peut nuire à aucun des deux ; mais cette ridicule convention ne ſaurait aſſurément exiſter entre l’être fort & l’être faible. De quel droit ce dernier exigera-t-il que l’autre le ménage ? & par quelle imbécillité le premier s’y engagerait-il ? Je puis conſentir à ne pas faire uſage de mes forces avec celui qui peut ſe faire redouter par les ſiennes ; mais par quel motif en amoindrirai-je les effets avec l’être que m’aſſervit la Nature ? Me répondrez-vous par pitié ? Ce ſentiment n’eſt compatible qu’avec l’être qui me reſſemble, & comme il eſt égoïſte, ſon effet n’a lieu qu’aux conditions tacites que l’individu qui m’inſpirera de la commiſération, en aura de même à mon égard : mais ſi je l’emporte conſtamment ſur lui par ma ſupériorité, ſa commiſération me devenant inutile, je ne dois jamais, pour l’avoir, conſentir à aucun ſacrifice. Ne ſerais-je pas une dupe d’avoir pitié du poulet qu’on égorge pour mon dîner ? Cet individu trop au-deſſous de moi,

privé