Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 244 )


différent objets ſur l’imagination ; rien d’étonnant d’après cela que ce qui plaît vivement aux uns, puiſſe déplaire aux autres, & reverſiblement, que la choſe la plus extraordinaire trouve pourtant des ſectateurs… L’homme contrefait trouve auſſi des miroirs qui le rendent beau.

Or, ſi nous avouons que la jouiſſance des ſens ſoit toujours dépendante de l’imagination, toujours réglée par l’imagination, il ne faudra plus s’étonner des variations nombreuſes que l’imagination ſuggérera dans ces jouiſſances, de la multitude infinie de goûts & de paſſions différentes qu’enfanteront les différens écarts de cette imagination. Ces goûts quoique luxurieux, ne devront pas frapper davantage que ceux d’un genre ſimple ; il n’y a aucune raiſon pour trouver une fantaiſie de table moins extraordinaire qu’une fantaiſie de lit ; & dans l’un ou l’autre genre, il n’eſt pas plus étonnant d’idolâtrer une choſe que le commun des hommes trouve déteſtable, qu’il ne l’eſt d’en aimer une généralement reconnue pour bonne. L’unanimité prouve de la conformité dans les organes, mais rien en faveur de la choſe aimée. Les trois quarts de l’univers peuvent trouver délicieuſe l’odeur d’une roſe, ſans que cela puiſſe ſervir de preuve, ni pour condamner le quart qui pourrait la trouver mauvaiſe, ni pour démontrer que cette odeur ſoit véritablement agréable.