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de ſentir qu’on ſe rend digne de l’Être ſuprême, rien qu’en exerçant les vertus qui doivent opérer notre contentement ſur la terre, & que les moyens qui nous rendent dignes de vivre avec nos ſemblables, ſont les mêmes que ceux qui nous donnent après cette vie l’aſſurance de renaître auprès du trône de Dieu ? Ah ! Roſalie, comme ils s’aveuglent ceux qui voudraient nous ravir cet eſpoir ! Trompés, ſéduits par leurs miſérables paſſions, ils aiment mieux nier les vérités éternelles, que d’abandonner ce qui peut les en rendre dignes. Ils aiment mieux dire, on nous trompe, que d’avouer qu’ils ſe trompent eux-mêmes ; l’idée des pertes qu’ils ſe préparent troublerait leurs indignes voluptés ; il leur paraît moins affreux d’anéantir l’eſpoir du Ciel, que de ſe priver de ce qui doit le leur acquérir ! Mais quand elles s’affaibliſſent en eux, ces tyranniques paſſions, quand le voile eſt déchiré, quand rien ne balance plus dans leur cœur corrompu cette voix impérieuſe du Dieu que méconnaiſſait leur délire, quel il doit être, ô Roſalie, ce cruel retour ſur eux-mêmes, & combien le remords qui l’accompagne doit leur faire payer cher l’inſtant d’erreur qui les aveuglait ! Voilà l’état où il faut juger l’homme pour régler ſa propre conduite : ce n’eſt ni dans l’ivreſſe, ni dans le tranſport d’une fiévre ardente que nous devons croire à ce qu’il dit, c’eſt lorſque ſa raiſon calmée, jouiſſant de toute ſon energie, cherche la

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