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heureuſe ſans doute, n’importe, voilà le peu d’argent que je poſſéde, continué-je en lui offrant ma chétive bourſe, prenez ce que vous jugerez à propos, & laiſſez-moi quitter cette maiſon, je vous prie, dès que j’en ſuis en état.

Rodin, confondu d’une réſiſtance à laquelle il s’attendait peu avec une fille dénuée de reſſources, & que d’après une injuſtice ordinaire aux hommes, il ſuppoſait malhonnête par cela ſeul qu’elle était dans la misère ; Rodin, dis-je, me regarde avec attention ; Théreſe, reprend-il au bout d’un inſtant, c’eſt aſſez mal-à-propos que tu fais la Veſtale avec moi, j’avais ce me ſemble quelque droit à des complaiſances de ta part, n’importe, garde ton argent, mais ne me quitte point. Je ſuis bien-aiſe d’avoir une fille ſage dans ma maiſon, celles qui m’entourent le ſont ſi peu… Puiſque tu te montres ſi vertueuſe, dans ce cas-ci, tu le ſeras j’eſpere également dans tous. Mes intérêts s’y trouveront, ma fille t’aime, elle vient de me ſupplier tout-à-l’heure encore, de t’engager à ne point nous quitter ; reſte donc près de nous, je t’y invite. — Monſieur, répondis-je, je n’y ſerais pas heureuſe ; les deux femmes qui vous ſervent aſpirent à tous les ſentimens qu’il eſt en vous de leur accorder ; elles ne me verront pas ſans jalouſie, & je ſerai tôt ou tard contrainte à vous quitter. — Ne l’appréhende pas, me répondit Rodin, ne crains aucun des effets de la jalouſie de ces