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chez ſon pere qu’autant qu’il n’y aurait rien dans ſa maiſon qui pût me faire ombrage. Portant dans ce deſſein mes regards ſur tout, je m’apperçus dès le lendemain que cet homme avait un arrangement qui dès-lors me donna de furieux ſoupçons ſur ſa conduite.

Monſieur Rodin tenait chez lui une penſion d’enfans des deux ſexes, il en avait obtenu le privilege du vivant de ſa femme, & l’on n’avait pas cru devoir l’en priver quand il l’avait perdue. Les éleves de Monſieur Rodin étaient peu nombreux, mais choiſis ; il n’avait en tout que quatorze filles & quatorze garçons. Jamais il ne les prenait au-deſſous de douze ans, ils étaient toujours renvoyés à ſeize ; rien n’était joli comme les ſujets qu’admettait Rodin. Si on lui en préſentoit un qui eût quelques défauts corporels, ou point de figure, il avait l’art de le rejetter ſous vingt prétextes toujours colorés de ſophiſmes où perſonne ne pouvait répondre ; ainſi, ou le nombre de ſes penſionnaires n’était pas complet, ou ce qu’il avait était toujours charmant ; ces enfans ne mangeaient point chez lui, mais ils y venaient deux fois par jour, de ſept à onze heures le matin, de quatre à huit le ſoir. Si juſqu’alors je n’avais pas encore vu tout ce petit train, c’eſt qu’arrivée chez cet homme pendant les vacances, les écoliers n’y venaient plus ; ils y reparurent vers ma guériſon.

Rodin tenait lui-même les écoles, ſa gouver-