Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 129 )


j’avais oppoſées à leurs déſirs, m’avaient fait ainſi traiter par leurs chiens. Rodin, c’était le nom de cet artiſte, m’examina avec la plus grande attention, il ne trouva rien de dangereux dans mes plaies, il aurait, diſait-il, répondu de me rendre en moins de quinze jours auſſi fraiche qu’avant mon avanture, ſi j’étais arrivée chez lui au même inſtant ; mais la nuit & l’inquiétude avaient envenimé mes bleſſures, & je ne pouvais être rétablie que dans un mois. Rodin me logea chez lui, prit tous les ſoins poſſibles de moi, & le trentieme jour, il n’exiſtait plus ſur mon corps aucuns veſtiges des cruautés de Monſieur de Bressac,

Dès que l’état où j’étais me permit de prendre l’air, mon premier empreſſement fut de tâcher de trouver dans le Bourg une jeune fille aſſez adroite & aſſez intelligente pour aller au château de la Marquiſe s’informer de tout ce qui s’y était paſſé de nouveau depuis mon départ ; la curioſité n’était pas le vrai motif qui me déterminait à cette démarche ; cette curioſité vraiſemblablement dangereuſe eût à coup-sûr été fort déplacée ; mais ce que j’avais gagné chez la Marquiſe, était reſté dans ma chambre ; à peine avais-je ſix louis ſur moi, & j’en poſſedois plus de quarante au Château. Je n’imaginais pas que le Comte fût aſſez cruel pour me refuſer ce qui m’appartenait auſſi légitimement. Perſuadée que ſa premiere fureur paſſée, il ne voudrait pas me faire une telle in-