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ſi ſouvent dans ta chambre ; trouve-toi à cinq heures préciſes au coin du parc, je t’y prendrai, & nous irons faire une promenade dans le bois, pendant laquelle je t’expliquerai tout.

Je vous l’avoue, Madame, ſoit permiſſion de la Providence, ſoit excès de candeur, ſoit aveuglement, rien ne m’annonça l’affreux malheur qui m’attendait ; je me croyais ſi sûre du ſecret & des arrangemens de la Marquiſe, que je n’imaginai jamais que le Comte eût pu les découvrir ; il y avait pourtant de l’embarras dans moi.


Le parjure eſt vertu quand on promit le crime,


a dit un de nos Poëtes tragiques ; mais le parjure eſt toujours odieux pour l’ame délicate & ſenſible qui ſe trouve obligée d’y avoir recours. Mon role m’embarraſſait.

Quoi qu’il en fut, je me trouvai au rendez-vous, le Comte ne tarde pas à y paraître, il vient à moi d’un air libre & gai, & nous avançons dans la forêt ſans qu’il ſoit queſtion d’autre choſe que de rire & de plaiſanter comme il en avait l’uſage avec moi. Quand je voulais mettre la converſation ſur l’objet qui lui avait fait déſirer notre entretien, il me diſait toujours d’attendre, qu’il craignait qu’on ne nous obſervât, & que nous n’étions pas encore en ſûreté ; inſenſiblement nous arrivames vers les quatre arbres où j’avais été ſi cruellement attachée. Je treſſaillis, en revoyant