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beſoin d’individus, elle nous inſpire l’amour, voilà des créations ; les deſtructions lui deviennent-elles néceſſaires, elle place dans nos cœurs la vengeance, l’avarice, la luxure, l’ambition, voilà des meurtres ; mais elle a toujours travaillé pour elle, & nous ſommes devenus, ſans nous en douter, les crédules agens de ſes caprices.

Eh ! non, non, Théreſe, non, la Nature ne laiſſe pas dans nos mains la poſſibilité des crimes qui troubleraient ſon économie ; peut-il tomber ſous le ſens que le plus faible puiſſe réellement offenſer le plus fort ? Que ſommes-nous relativement à elle ? Peut-elle en nous créant avoir placé dans nous, ce qui ſerait capable de lui nuire ? Cette imbécile ſuppoſition peut-elle s’arranger avec la manière ſublime & ſûre dont nous la voyons parvenir à ſes fins ? Ah ! ſi le meurtre n’était pas une des actions de l’homme qui remplît le mieux ſes intentions, permettrait-elle qu’il s’opérât ? L’imiter peut-il donc lui nuire ? Peut-elle s’offenſer de voir l’homme faire à ſon ſemblable, ce qu’elle lui fait elle-même tous les jours ? Puiſqu’il eſt démontré qu’elle ne peut ſe reproduire que par des deſtructions, n’eſt-ce pas agir d’après ſes vues que de les multiplier ſans ceſſe ? L’homme en ce ſens, qui s’y livrera avec le plus d’ardeur ſera donc inconteſtablement celui qui la ſervira le mieux, puiſqu’il ſera celui qui coopérera le plus à des deſſeins qu’elle manifeſte à tous