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que croyance aux paroles obſcures, aux prétendus miracles du vil inſtituteur de ce culte effrayant ! Exiſta-t-il jamais un bateleur plus fait pour l’indignation publique ! Qu’eſt-ce qu’un Juif lépreux qui, né d’une catin & d’un ſoldat, dans le plus chétif coin de l’univers, oſe ſe faire paſſer pour l’organe de celui qui, dit-on, a créé le monde ? Avec des prétentions auſſi relevées, tu l’avoueras, Théreſe, il fallait au moins quelques titres. Quels ſont-ils ceux de ce ridicule Ambaſſadeur ? Que va-t-il faire pour prouver ſa miſſion ? La terre va-t-elle changer de face ; les fléaux qui l’affligent vont-ils s’anéantir ; le ſoleil va-t-il l’éclairer nuit & jour ? Les vices ne la ſouilleront-ils plus ? N’allons-nous voir enfin régner que le bonheur ?… Point, c’eſt par des tours de paſſe-paſſe, par des gambades & par des calembours[1] que l’envoyé de Dieu s’annonce à l’univers ; c’est dans la ſociété reſpectable de manœuvres, d’artiſans & de filles de joie, que le miniſtre du Ciel vient manifeſter ſa grandeur ; c’eſt en s’enivrant avec les uns, couchant avec les autres, que l’ami d’un Dieu, Dieu lui-même, vient ſoumettre à ſes loix le pécheur endurci ; c’eſt en n’inventant pour ſes

  1. Le Marquis de Bievre en fit-il jamais un qui valût celui du Nazaréen à ſon diſciple : « tu es Pierre & ſur cette pierre je bâtirai mon égliſe » ; & qu’on vienne nous dire que les calembours ſont de notre ſiécle.