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ADÉLAÏDE DE BRUNSWICK


mon Père, j’ai besoin de causer avec vous. Votre présence m’intimide et m’éclaire : vous produisez sur moi l’effet des feux célestes du front de Moïse éclairant l’Israélite dans le désert. Il faut absolument que je vous connaisse.

Urbain fait signe à ces dames de le suivre, et les ayant conduites dans son humble demeure :

— Écoutez-moi, leur dit-il, l’une et l’autre, puisque vous voulez savoir qui je suis et comment je sais qui vous êtes… Vous vous souvenez, madame, dit-il en s’adressant à Adélaïde, du sort affreux qu’éprouva le malheureux Kaunitz quand votre époux le soupçonna si injustement d’une intelligence avec vous ? Eh bien, madame, vous voyez en moi le père de cette victime infortunée de la jalousie de Frédéric, ou bien plutôt celle de la cruauté du persécuteur de ma famille, puisque ma femme mourut empoisonnée par la même main qui devait plonger le poignard dans le sein de mon fils. Le désespoir où me jeta la perte d’une épouse chérie me fit renoncer au monde : je m’engageai dans les ordres, et suis prêtre depuis cette époque. Entièrement livré à l’éducation de mon fils, je crus trouver dans ce devoir et dans le nouvel état que je venais d’embrasser un peu d’adoucissement à mes maux… Je me trompais. Que de nouvelles douleurs me fit