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ADÉLAÏDE DE BRUNSWICK


les hommes : les épines de la vie disparaissent quand ils en voient éclore les roses.

Tel était le tourbillon révolutionnaire pendant lequel nos chevaliers saxons entrèrent dans Venise et furent descendre dans une auberge assez voisine de l’hôtel qu’occupait Adélaïde.

Il est malheureux de chercher ce qu’on aime, de le chercher avec tant de soins et de peines, alors qu’on le possède près de soi, mais qu’on ne peut, par ignorance, aller se précipiter dans ses bras !

Tout le monde connaît les folies que les Vénitiens se permettent pendant le carnaval ; et ce qu’il y a de singulier, c’est que cette coutume n’est extravagante que par le sang-froid qui la caractérise. Quoi de plus singulier, en effet, que de voir les gens les plus sensés de la ville, des prêtres, des nobles, des sénateurs, les vieillards les plus respectables, les femmes les plus honnêtes, courir les rues déguisés, sans renoncer au sérieux et à la raison qu’on leur reconnaît dans le monde ? Ainsi ce n’est ni dans l’esprit ni dans les actions qu’est la gaieté, c’est dans les vêtements. Ces braves citoyens ne sont fous que parce qu’ils sont masqués : enlevez le domino ou l’habit d’Arlequin, les voilà rendus au bon sens. On conviendra que ces bizarreries sont propres à caractériser un peuple