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ADÉLAÏDE DE BRUNSWICK


du margrave. Il ne se trouvait personne dans la voiture où ces femmes avaient été enfermées, et l’on imagine aisément dans quel état d’anxiété elles durent arriver à leur destination.

Des ordres étaient donnés pour les recevoir magnifiquement. On prévint leurs désirs ; mais le margrave ne parut point. Leur inquiétude redoubla, et elles comprirent bientôt que si leurs fers étaient dorés, ils ne pesaient pas moins sur elles, et que les précautions que l’on employait n’étaient qu’à dessein de les captiver plus sûrement.

— Entre cette prison-ci et celle où nous étions obligées de filer, comme les Parques, le fuseau de la vie, dit la princesse, je ne vois pas une bien grande différence : de la brutalité dans l’une, de la fausseté dans l’autre, mais dans toutes deux le même projet sur nos jours et sur notre honneur.

Ô ma chère Bathilde ! comme les hommes sont méchants ! Et l’on ne veut pas que nous nous en vengions, sitôt que cela nous devient possible ! Du moment que cet homme connaît et mes liens et mes devoirs, à quoi lui sert-il de me faire enlever, et que peut-il attendre de moi ? Contraindre une femme à ses désirs, quand on sait qu’elle ne les partage pas ! Est-il au monde de plus criante injustice ? Voilà pourtant où me conduit celle de mon époux. Lui seul m’entraîne dans tous les