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ADÉLAÏDE DE BRUNSWICK


sentir tous les inconvénients ; et quand je voudrais ramener les hommes à la vertu, ce ne sera pas en leur offrant, à toute minute, le tableau dégoûtant du vice. C’est à l’âme des hommes qu’il faut s’adresser quand on veut les ramener au bien. Si vous leur faites du mal, ils en feront bientôt plus que vous. Je ne connais rien de plus stupide que de croire qu’il faille enfermer les hommes pour les empêcher de mal faire. Et s’il est certain que ce procédé ne les conduit jamais qu’à en faire davantage, mais seulement avec plus de précautions, est-ce bien la peine de mettre en usage des moyens aussi grossiers ?

— Ne voyez-vous pas bien, madame, dit Bathilde, qu’il est plus aisé de les enfermer que de les convaincre, et que la route la plus facile est toujours celle que trace la sottise ? Enfin, madame, vos malheurs auront du moins servi à fournir aux souverains des réflexions bien sages.

— Non, Bathilde, non, chère amie, répondit la princesse, je puis, en raison du mal qu’on me fait, sentir le danger d’en faire autant aux autres, sans pour cela que ce mal opéré sur moi me garantisse des mauvais effets qu’il doit produire : j’en serai victime comme eux… Je te le dis, Bathilde, mon âme n’est plus la même, le malheur l’a changée, mon humeur s’est aigrie, les moindres