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ADÉLAÏDE DE BRUNSWICK


c’est parce qu’on l’estime qu’on craint de le perdre ; et dès qu’on le croit digne de tous les sentiments de son cœur, pourquoi ne veut-on pas qu’un autre ait les mêmes yeux ? S’il les a, voilà la jalousie justifiée, et s’il ne les a pas, l’amour ne peut plus l’être.

— Mais Votre Altesse a-t-elle donc reconnu dans la vertueuse épouse qu’elle possède quelque chose qui légitime ses craintes ?

— Non, mon ami, dit Frédéric avec une sorte d’inquiétude dont il n’était pas le maître ; mais je suis loin d’imaginer que son amour égale le mien. Tout paraît devoir, obéissance, en elle ; je n’y découvre aucune de ces prévenances si bien faites pour convaincre de la tendresse d’une femme, et qui, n’existant pas, causent d’aussi justes appréhensions.

— Mais tout cela peut venir. Monseigneur ; la princesse est encore bien jeune ; l’habitude de vivre avec vous changera bientôt en plaisir ce que vous n’attribuez aujourd’hui qu’au devoir ; et l’amour qui doit en résulter m’en paraît plus durable.

— Ainsi, ce n’est donc que du temps que je dois attendre mon bonheur ?… Je voudrais, mon cher comte, que vous vous emparassiez de son esprit, et qu’en descendant au fond de son âme,