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MARQUIS DE SADE — 1774
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Les mêmes ordres furent exécutés ; il fut constitué prisonnier dans le fort de Miolans, uniquement destiné pour les plus grands criminels. Affreux séjour ! Il ne voyait même pas la lumière. Les ordres étaient précis de lui interdire tout commerce de lettres. Cette précaution était nécessaire et pour cacher le lieu de sa rétention et pour le triomphe des vexations qu’il essuyait ; mais ce qui surprendra toute âme sensible, c’est que la dame de Montreuil, qui s’était érigée en despote absolu de la personne du marquis de Sade au préjudice du droit des gens et de la foi publique, interceptait et recevait elle-même toutes les lettres qui lui étaient adressées, et le marquis de Sade fut assez heureux que d’échapper, après cinq mois de détention, de cette odieuse prison. Sa fuite, envisagée comme un outrage fait à la volonté de la dame de Montreuil, ne fit qu’ajouter à l’ardeur de ses persécutions……

Il rentre en France et se retire dans sa terre de la Coste. Ce retour fait, en quelque manière, oublier à la suppliante ses infortunes passées ; elle ne s’occupe que du soin de calmer l’amertume de la situation de son mari ; elle se flatte que ses sollicitations vaincront à la fin la prévention de sa mère…… Filles du ciel ! Justice, vérité, tendresse, compassion ! Vous seules pouvez nous apprendre par quelle fatalité vous ne présidez plus sur les sentiments, sur les actions, sur les démarches de la dame de Montreuil, par quel prestige l’injustice de la calomnie, le déchaînement et la dureté vous succèdent à l’empire de son cœur ! Vous souffrez que leurs armes réunies accablent l’infortune et que le désespoir soit la seule ressource de celui que vous abandonnez ! Oui, la suppliante est forcée de le dire avec cette liberté qui n’altère ni son devoir ni son respect : la dame de Montreuil regarde avec effroi toute démarche pour la justification, pour la liberté de son gendre.

Elle part, elle agit et bientôt un exempt de police de Paris arrive à la Coste, dans le fond de la Provence, escorté de quatre archers de police et d’une troupe de cavaliers de la maréchaussée de la province. Si dans la route, si dans la province l’on ignore d’abord le motif d’une expédition aussi bruyante, bientôt l’on apprend que la personne, que les papiers du marquis de Sade en sont l’objet. De quel opprobre, dès lors, n’est-il pas couvert ! Les conjectures, les combinaisons se multiplient, les esprits s’aigrissent à l’aspect d’une démarche couverte du voile de l’autorité et que l’on sait n’être que l’ouvrage de la dame de Montreuil, et les échafauds, dès lors, ne sont pas suffisants pour expier ses forfaits.

Cette troupe arrive à la Coste la nuit du six janvier 1774. Les échelles étaient préparées, les murs du château sont escaladés ; on entre, le pistolet et l’épée à la main. C’est dans cet état que l’exempt de police se présente à la suppliante. La fureur excitée par son action peinte sur son visage, il lui demande, avec les plus affreux jurements dans sa bouche et les expressions les plus indécentes, où se trouve M. de Sade, son mari, qu’il le lui faut mort ou vif. Qui pourrait dépeindre la situation de la suppliante dans une circonstance aussi cruelle ? Elle voit la barbarie devant ses yeux ; l’horreur et la terreur l’agitent successivement : elle voit, elle ne peut se dissimuler l’ouvrage de sa mère ; elle veut le respecter tandis qu’elle en est