Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MARQUIS DE SADE — 1774
7


au monarque qui l’a signée. Tout le monde l’assure qu’elle n’est point bonne. Heureux temps où la mort d’un seul laissait à tout un peuple quelque chose à attendre ou à espérer !

Madame de Sade, qui partage ses soins entre « la grande affaire » et le procès au Châtelet, se persuade que le succès de l’une sera dû à la crainte qu’inspire l’autre. « Sans le procès du Châtelet nous n’aurions jamais fini, et il est très facile de voir que, quoi qu’ils en disent, ils sont très intrigués. » Ce ils comprend sa mère, les parents de son mari, le ministre, les juges, le monde entier ligué contre M. de Sade.

Du reste beaucoup de promesses et point d’effet. M. de Maurepas est premier ministre : tout est en l’air. On ne tire rien de personne. La plainte est toujours entre les mains du procureur du roi qui ne se hâte pas de donner ses conclusions ; on pense, toutefois, que la requête en cassation sera présentée avant six semaines et que l’affaire sera renvoyée à l’ancien parlement qui, dit-on, va rentrer.

L’argent est de plus en plus rare. En dépit de la caution offerte par la belle-mère de la marquise, la juiverie de Carpentras ne décroche plus ses volets. Impossible de toucher les revenus de la charge du marquis qui sont sous séquestre. Madame de Montreuil a bien promis de payer les dettes, mais ne passe jamais à l’acte. Quinze ans plus tard, après maints comptes et répétailles, les créanciers attendront toujours. Le père Grandet n’a pas fait aussi bien.

Malgré ses soucis la marquise ne perd pas de vue les affaires de Provence et, en particulier, celle du château de la Coste où vivent au moins trois domestiques et un jardinier qui vient seulement coucher.

Là règne Gothon, fille d’un huguenot suisse, concierge et factoton, qui en sait long sur son maître et qui le sert en toutes choses sans se desservir. Cette forte situation, jointe à beaucoup de langue, assure son pouvoir sur toute la maison, mais elle le partage avec son amant Carteron, dit « la Jeunesse », valet personnel du marquis, qui a femme et enfants au pays de Langres et les laisse mourir de faim. Avec eux, mais bien plus dans la crasse, se trouve Saint-Louis, laquais ivrogne et paresseux, qui entre parfois dans des frénésies de bruit, d’insubordination et d’injures. La chambrière Nanon, qui est intimement mêlée aux origines de l’affaire lyonnaise, ne doit pas se trouver à la Coste pendant l’absence de la marquise. Un autre valet du marquis, le nommé Langlois, est détenu depuis un an à la maison de force de Bicêtre car il est de