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CORRESPONDANCE INÉDITE DU

Le constant souci de la marquise est de défendre son mari, souvent contre lui-même. Gaufridy est très susceptible, comme tous les gens qui cherchent à concilier leur honnêteté, leur timidité et leur indolence : elle l’apaise lorsqu’il se pique des lettres du marquis. Elle va généralement tout droit comme un cheval de bataille, mais l’intérêt de M. de Sade la rend fine et rouée, et cela lui tient lieu de grâce. Elle correspond avec l’abbé d’Ebreuil, oncle du marquis retiré à Saumane, et cherche à l’intéresser pour son neveu. Mais l’abbé est d’avis que celui-ci doit se constituer prisonnier et la marquise ne s’y résoudra jamais « même si son affaire dépend de ce qu’il soit enfermé ». Une lettre plus optimiste de l’abbé la remplit de joie ; elle espère que ce n’est pas en l’air qu’il dit être sûr de son fait et envoie cette lettre à M. de Sade qui a, semble-t-il, passé par Bordeaux et paraît s’être ensuite arrêté à Grenoble. La plainte qu’elle a formée contre madame de Montreuil lui tient pareillement à cœur. Elle veut que l’on voie que c’est bon jeu bon argent, mais son procureur est bien lent à agir ou à lui donner des nouvelles. Enfin, lasse d’attendre, et d’ailleurs poussée par le marquis, elle part pour Paris le quatorze juillet.

Madame de Sade fait, ou croit faire, une partie de la route avec un espion de la famille et conte avec esprit cette rencontre. Arrivée à Paris elle loge d’abord à l’hôtel de Bourgogne, rue Taranne, et se fait envoyer ses lettres chez un sieur Carlier, tailleur, rue Saint-Nicaise. Elle s’établit ensuite chez sa belle-mère, rue d’Enfer, vis-à-vis la fontaine des Chartreux. À peine descendue de carrosse, elle bat le pavé, multiplie les démarches. On la croit folle. Elle passe comme chien qui saute au travers des intrigues ourdies par la présidente. Il est question de marier une de ses sœurs à un galant des Flandres nommé Beaumont. C’est, vraisemblablement, de mademoiselle de Launay qu’il s’agit, et le Flamand n’est point si épais qu’il ne voie le danger de réparer aux yeux du monde une réputation qui resterait fragile pour lui seul. Aussi la famille veut-elle avoir l’assurance que le beau-frère est enfermé pour toujours. « Ce trait est indigne », écrit la marquise.

Enfin elle se prend à sa propre activité et se laisse aller à l’espoir. La présidente est « comme une lionne », mais n’agit point aussi malignement qu’elle parle. La marquise pense que la cassation de l’arrêt ne tardera pas. Mais M. de Sade n’est pas seulement sous le coup d’une sentence régulière : il est l’objet d’une lettre de cachet dont il faut obtenir le retrait. Le roi est mort et la marquise se demande si la lettre survit