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— XXXVIII —

Les parents du marquis ont été moins directement mêlés à sa vie que ses alliés et ses intimes. Ils font galerie et dessinent une frise de figures qui ont entre elles et avec lui-même de curieuses affinités et d’évidentes ressemblances. C’est la théorie des oncles et des tantes de M. de Sade, à la survivance du feu comte son père.

La plus intéressante de ces figures disparaît la première. C’est celle de l’abbé d’Ébreuil, l’historien de Pétrarque. L’abbé s’est retiré à Saumane, après une existence mondaine, et il s’y est fort bien accommodé d’une solitude qui n’a rien d’érémitique. Il y occupe ses loisirs à la culture des lettres et de la chicane, sans négliger d’autres plaisirs. Il est égoïste et fin. Ses vues sont claires avec un peu de tension, comme celles que l’on obtient à travers des verres d’une courbure trop forte. Il a un fort penchant à analyser toutes choses par de menus propos et à mettre dans un ordre minutieux de menues choses. Il est d’humeur assez chatouilleuse et peu obligeante, à la façon des vieilles gens qui savent leur devoir, mais s’irritent à la seule pensée qu’on viendra troubler leur quiétude, et dont le grand souci est d’écarter de leur cercle et d’eux-mêmes les personnes et les préoccupations importunes. Comme tous les solitaires, il est, du reste, fort jaloux de ce qui lui appartient ou de ce qui le touche encore. C’est un voisin difficile et un grand disputeur. Il compose pour ses procès de longs mémoires qui témoignent de la clarté et de l’obstination de ses vues. Il pense et écrit comme un praticien et possède, avec plus de tenue, mais aussi plus d’aigreur, toutes les qualités d’un bon procureur. Il est l’ennemi et le contradicteur né de la présidente, et semble nourrir à son encontre une jalousie de confrère. Mais il y a aussi entre eux rivalités de méthode. La sienne est toute spéculative ; il ne procède pas par attaques brusquées sur l’esprit et la bourse des gens dont il veut vaincre l’hostilité ou briser la résistance, mais il abonde en arguments et en preuves qu’il se donne surtout à lui-même. L’abbé est de ces êtres qui en savent ou croient en savoir plus long que leur prochain, mais qui ne livrent jamais qu’à demi le secret de leurs convictions. Il déprise tout à la ronde et méprise les femmes, c’est-à-dire qu’il est plus que quiconque à leur merci. L’histoire, malheureusement très confuse, de la dame espagnole qu’on verra mêlée aux affaires de sa succession prouve qu’il n’y a point de solitudes où elles ne sachent découvrir ceux qui leur sont dévoués par nature.

L’abbé écrit avec élégance. Il a un sentiment désabusé, mais énergique, de ce qu’il doit à son propre mérite, de ce qui lui est dû par