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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


épaules à ces propositions. Lombard attend son heure : si l’avocat voulait prêter l’oreille à ses offres, il recevrait pour lui un cheval bridé, sellé et vingt-cinq louis pour madame. Le régisseur ne mange pas à ce râtelier, et le maître ne cède pas un sol sur ses prétentions malgré sa grande misère. Sensible s’est évanouie un quart d’heure. Elle vend ses robes. « C’est comme ça, dit-elle en pleurant, que M. Gaufridy m’aime ! » Malgré le dévouement de sa compagne, « Moïse » va mourir de faim au premier mars. Moïse, c’est le marquis lui-même.

Cependant la bonne Sensible ne mène pas aussi grand bruit qu’on le croirait par les lettres de son ami et fait beaucoup plus de besogne. Elle repart en campagne pour François Gaufridy qui est de nouveau menacé par la réquisition et met une énergie farouche à ne pas vouloir être soldat. Son fils, (car elle en a un, et il a pris la place de ceux du marquis) est plus affectionné qu’elle-même à ses amis de Provence. Elle attend mademoiselle Benoîte à Paris, embrasse mademoiselle Gothon et M. Charles, n’oublie rien ni personne, pense à son hypothèque, à « l’urgence », aux confitures, à l’huile, au vin cuit et presse Gaufridy d’agir pour la radiation, car c’est décidément sur place qu’il faut le faire.

Mais le marquis apprend qu’il a suffi à un de ses agents de montrer le certificat de radiation délivré par les Bouches-du-Rhône en mai 1793 pour empêcher que le séquestre fût mis à Saumane. Comment se fait-il que l’avocat n’ait pas agi de même à Mazan ? Est-ce donc pour cela que les deux amis se sont quittés les larmes aux yeux à Beaucaire ? Tout est perdu si l’on reste coi. Il est temps de prouver au département que la radiation des Bouches-du-Rhône était définitive, que l’inscription n’avait été prise que sur une déclaration erronée de la municipalité de la Coste, que les certificats produits attestent la résidence permanente du citoyen Sade dans la section des Piques. Sensible se rend chez Barras et l’on prépare un mémoire pour l’avocat sur tous ces points. Il réparera provisoirement ses torts en envoyant de l’argent.

L’affaire n’est pas si simple, et le conseil que M. de Sade a pris à Paris ne le laisse pas ignorer à son confrère. Le marquis est inscrit sur la liste générale des émigrés sous les prénoms de Louis Alphonse Donatien, avec la mention : « (Vaucluse. Apt. 13 décembre 1793. » Or, c’est le treize décembre 1792 que l’inscription a été prise par les Bouches-du-Rhône, et la radiation prononcée par ce département n’a pas été faite sur la liste envoyée à celui de Vaucluse au moment de la scission. Il s’en suit que la loi est applicable et la peine de mort encourue, si