Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
388
CORRESPONDANCE INÉDITE DU

Terminons maintenant par l’examen de votre proposition de solder tous mes créanciers avec du mandat et de libérer ainsi mon revenu. Le fond de cette proposition est excellent sans doute, il ne s’agit que de répondre à la question suivante : « Le pouvez-vous sans diminuer mon revenu ? » Certes, si vous me faites perdre par ce remboursement trois mille livres de rente pour m’en gagner quatre ou cinq, il faut faire l’opération sur le champ, mais si vous me gênez, vous me grevez dans ce moment-ci seulement pour faire avoir un bien plus libre à mes enfants, je m’oppose à cet arrangement, et voici pourquoi je m’y oppose. J’ai trois enfants en tout, une fille que je ne vois point, à laquelle on fait avoir de très grands torts avec moi et pour laquelle je ne veux pas faire le plus petit sacrifice. D’ailleurs elle ne sera jamais à plaindre ; idole de sa mère, qui provoque contre moi tous les torts dont je me plains, elle aura de ce bien-là plus qu’il ne lui faudra pour vivre. Mon second fils est à Malte, fixé là et y trouvant à vivre, on ne saurait moins inquiet de moi, ne me donnant aucun soin, ne m’écrivant même pas. Je doute que nous le revoyions jamais. Celui qui me reste est mon aîné, garçon très aimable et qui me voit très souvent ; je l’aime fort. Lui, j’en suis bien sûr, sera toujours content de ce que je lui laisserai, mais non pas de la position où je lui laisserai son bien. Très actif, idolâtre des arts, uniquement occupé de la peinture et de la musique, ce jeune homme ne me déguise pas qu’aussitôt que la paix sera faite il ne veut avoir d’autre patrie que le monde. Il voudrait même, si je ne le retenais, partir tout de suite pour la Nouvelle-Angleterre. Maître de ce que je lui laisserai, il le vendra incontestablement et ira le manger au bout de l’univers. Est-ce bien la peine, je le demande, de lui arrondir le gâteau ? Je me résume et je dis donc : si l’opération que vous proposez, laquelle est très bonne au fond, a pour objet d’augmenter mon revenu, faites-la ; si elle doit le diminuer, et ne l’augmenter que pour les autres, n’y pensez plus. Une de mes plus grosses créancières est madame de Sade, mon épouse. Je lui dois cent soixante mille livres, mais qu’elle s’est engagée à ne jamais répéter de mon vivant. Je lui dois les intérêts de cette somme qui, modérés par transaction sous seing privé à quatre mille francs par an, élèvent aujourd’hui la dette à vingt-quatre mille francs, parce que, depuis six ans qu’est passée cette transaction, je ne lui ai pas donné un sol. Assurément c’est bien le cas de lui payer ces vingt-quatre mille francs en mandats, mais il y a ici une observation essentielle à faire. Elle ne m’a jamais demandé ces intérêts-là ; piquée de mon procédé, elle recevra les mandats parce qu’elle ne pourra pas faire autrement ; mais, quand les écus reparaîtront, accoutumée à être payée, elle voudra continuer de l’être et ses prétentions, que je n’aurai plus d’armes pour combattre, me ruineront alors. Je vous soumets cette considération, pesez-la bien avec votre père et je suivrai vos avis……

On m’assure, je prie votre père d’éclaircir cela, que la succession de madame de Raousset ne pouvait me fuir, et que jamais madame de Villeneuve n’a dû ni pu s’en emparer. Voyez tous deux, s’il y a quelques moyens de rentrer là-dedans……