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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


Madame de Villeneuve rabat les prétentions du marquis sur la vaisselle de l’abbé par une argumentation péremptoire. (Avignon, 23 ventôse an IV).

……En recevant votre lettre du huit courant, j’ai parfaitement cru, mon cher neveu, qu’ayant réfléchi sur le contenu de votre précédente, vous veniez le démentir et rendre un peu plus de justice aux intentions que je vous avais manifestées dans la mienne, dans lesquelles je n’avais consulté que vos intérêts, et que toutes vos observations chimériques ne m’empêchent point de voir encore, mais point du tout. Vous venez m’étonner d’une autre manière, par une légende de réclamations auxquelles je ne devais pas m’attendre. J’aurais bien désiré que, dans vos prétentions, vous eussiez pris toute autre tournure et mis un peu plus de modération, que vous m’eussiez simplement exposé les embarras que vous avait laissés le commandeur, et vous reposer un peu plus sur mon cœur et les bonnes dispositions que j’avais pour vous et les vôtres que je ne voulais point oublier.

En invoquant aussi fortement que vous le faites le devoir et la justice, vous me forcez à vous dire, avec la franchise et la rondeur que vous devez connaître en moi, que, mon frère l’abbé étant mort sans tester, le commandeur se trouvant engagé par des vœux qui le frappaient de mort civile, je devenais la seule héritière légitime, que j’étais absolument la maîtresse de tout garder sans qu’on pût me le contester ni m’obliger à rendre compte, que le commandeur n’a joui que parce que je l’ai bien voulu, qu’il m’a priée lui-même de lui céder cet héritage, où il y avait beaucoup de dettes pour lesquelles je pourrais être inquiétée, et qu’il pouvait mieux s’en charger et y faire face, à quoi je consentis bien volontiers, voyant que cet abandon lui faisait plaisir. Je ne demandai absolument rien. Ce fut lui qui m’offrit la vaisselle du défunt, qui me força même à la prendre, comme la moindre marque d’amitié et de reconnaissance sans qu’il fût question du moindre chargement ni déclaration quelconque. Je ne l’aurais pas reçue, pouvant m’en passer alors. Comment donc y prétendez-vous aujourd’hui seul des droits que vous êtes prêt à contester sans merci ? Il est vrai que le commandeur n’a pas fait honneur aux dettes, mais est-ce ma faute ? Lui ai-je offert cet héritage ? L’eût-il accepté sous ma garantie ? Par quels actes en ferez-vous conster ? Il y avait beaucoup de dettes, cela est vrai, mais dans quel temps pouvait-on plus facilement se libérer ? Cela n’aurait pas empêché que je n’y eusse égard, autant que je l’aurais pu. J’avais cru trouver un moyen de vous manifester mes bonnes dispositions pour vous dans ce que je vous proposais. Vous y avez trouvé des dangers et toutes sortes d’inconvénients. J’en suis désolée. Cela n’empêcherait pas, si je le puis, que je ne pense encore à vous, mais, pour cette vaisselle, n’y pensons plus. Je me suis vue forcée de m’en servir dans les cruelles circonstances, l’état de privation totale où je me suis trouvée pendant plus de trois ans ; je ne suis guère même encore à mon aise, tant s’en faut. J’avais assez de mes infirmités journalières sans me voir exposée chaque moment à des demandes imprévues