Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/444

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
380
CORRESPONDANCE INÉDITE DU


pilleau, lequel a fait main basse sur ce qui lui a plu. Il est vrai qu’à ce titre ledit Maynet était porteur d’une autorisation du marquis, mais l’avocat a manqué de finesse ; il n’avait qu’à lui dire : « Il n’y a rien là qui soit digne de vous. »

Ainsi les Gaufridy ne réussissent à rien et leur honnêteté, qui n’est pas en question, est bien plus dommageable que la friponnerie de certains autres. Charles écrit des lettres dont on peut louer quelques termes, mais qui sont surtout des modèles de verbiage. Le marquis n’aime pas les lettres sèches, c’est-à-dire celles qui ne lui apportent point d’argent. Il juge que tout est en ordre dans ses terres quand il en reçoit. S’il se fâche souvent, c’est de ne pas en avoir et il est alors inutile de l’imiter ou de chercher à le convaincre : la seule réponse à lui faire est de lui envoyer une lettre de change ; cela dissipera tous ses soupçons et légitimera tous les actes.

L’avocat ne veut pas comprendre que le citoyen Sade est vieux et qu’il n’a point à se préoccuper de ce que ses biens deviendront après sa mort. Sa femme ne l’a pas fait plus que lui-même pendant les treize années de la détention, car, au lieu de payer les dettes, elle agissait « en mère de couvent et non en mère de famille. » Pourquoi le ferait-il aujourd’hui ? Sa fille ne quitte pas madame de Sade et n’aura nul besoin de son héritage. Le cadet est à Malte et n’entretient plus aucune relation avec son père. Quant à l’aîné, c’est un artiste qui aime à courir le pays et qui mangera indubitablement ce qu’on pourra lui laisser. Autant le faire avant lui !

Il est pareillement oiseux et tout à fait ridicule de songer à payer les créanciers, même avec du papier déprécié, si cela doit diminuer en quoi que ce soit les revenus du marquis et « mettre son estomac au croc ». Il est vrai que la création des mandats, nouvelle monnaie légale gagée sur les biens nationaux, permettrait de le faire à bon compte (car leur déconfiture est certaine) en achetant beaucoup de ces mandats avec fort peu d’argent. Mais, outre que les créanciers refusent, nonobstant la loi, de les prendre en paiement, il y aurait de grands inconvénients à habituer certains d’entre eux à recevoir quelque chose ou à les piquer par une mauvaise plaisanterie. C’est ainsi que madame de Sade, qui n’a jamais touché un sol de sa pension, si on se met soudain à la payer en mandats, la réclamera en écus quand ils seront tombés à rien. Il faut, dans tous les cas, qu’il soit bien entendu que la nouvelle monnaie (sans vouloir en dire du mal), si elle peut, à l’occasion, servir à payer