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CORRESPONDANCE INÉDITE DU

Voilà votre thème fait, mon cher citoyen ; réfléchissez bien à tout cela, et faites-nous part de vos réflexions. Nos conseils les attendent pour vous affermir dans le plan que nous vous traçons ici et pour agir de concert avec vous.

À l’égard de ma fille, vous savez qu’elle n’a jamais quitté sa mère……


Le marquis ne peut admettre d’aller en sabots quand ses fermiers vont en voiture, « Ce 13 prairial, premier juin v.s., l’an III de la république française, de J.-C. 1795. »

J’espère que c’est dater, cela, et que je ne mérite plus le reproche que vous me faites de ne jamais dater !……

Il est absurde, révoltant, odieux à mes fermiers de vouloir me payer en assignats la même somme qui m’était autrefois donnée en or. Ainsi, sans exagération, ces herbages, affermés, en écus, trois mille deux cents[1], doivent en donner neuf à dix en assignats ; voilà ce que M. Lions ne veut pas entendre, et voilà pourtant ce que je vous supplie de lui graver le plus avant possible dans l’esprit. Songez en un mot que je mangerai cette année trente mille francs d’assignats bien comptés, et que, pour ces trente mille francs, réduit à une servante et un laquais, je meurs ce qui s’appelle de faim, je ne mange de la soupe qu’une fois par décade, le reste du temps des haricots. Je ne me permets aucun plaisir, j’ai le même habit depuis cinq ans et je ne peux pas donner un verre d’eau à un ami. L’hiver, je suis en sabots, l’été en chaussures de lisière, et je mange trente mille francs. Ce que je vous dis sont des faits ; il est vrai que je me console du dénuement dans lequel je suis par la douce idée que mes fermiers sont logés, dit-on, comme des princes et achètent tous les jours des bastides à mes dépens……

Voilà encore une guerre entre Marseille et Toulon. Mandez-moi si votre fils a marché et s’il s’en sera bien tiré[2]. La suite de votre lettre me rassure ; j’y vois que vous me dites l’avoir avec vous, je vous en félicite de tout mon cœur……


Le marquis, bien qu’ils soient sans conteste en règle avec la loi, se sert du nom de « Vogel » pour désigner ses fils.

Je réponds, mon cher citoyen, le vingt-deux prairial, à votre lettre du six présent mois, au retour d’un petit voyage que je viens de faire à Paris,

  1. Livres, et non écus.
  2. « Les patriotes » toulonnais, insurgés depuis le vingt-cinq floréal, tentèrent d’abord de marcher sur Marseille, puis furent battus par l’armée thermidorienne sur la route qui relie les deux villes. On sait qu’au même moment les bandes royalistes des « Compagnons du Soleil » égorgeaient à Nîmes, à Avignon, à Marseille, les prisonniers montagnards dont elles s’étaient emparées. Le gouvernement était entre deux et la vertu nulle part.