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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


Le marquis recommence à crier misère et a toujours son pistolet chargé à portée de la main. (10 frimaire).

Eh bien ! mon cher citoyen, êtes-vous donc retombé dans votre cruelle léthargie ? Oh ! mon Dieu, comment se peut-il que vous m’abandonniez dans une aussi cruelle circonstance ! Songez donc qu’au sortir de ma prison, j’ai trouvé deux mille écus de dettes, pas un sol vaillant, ma santé dans le plus grand délabrement possible. Me voilà à l’entrée de l’hiver, obligé de faire quelques provisions et malade dans mon lit. Voilà l’état où vous me laissez ! Je ne reconnais plus là votre amitié pour moi ; mon désespoir est au comble ; je ne sais plus ni que faire ni que devenir ; assailli de partout par les gens qui m’ont prêté pendant ma détention, n’ayant pas un écu, plus un seul effet à mettre en gages, ma position est absolument sans exemple et, si vous ne venez sur le champ à mon secours, il faut que je me brûle la cervelle. Terminez donc cette vente de la Grand’Bastide de Saumane, mais vendez cela comme il faut, car vous n’ignorez pas que les biens se vendent aujourd’hui des prix fous dans votre département. Je dois avoir au moins trente ou trente-cinq mille francs de cet objet ; c’est au moins ce que m’assure un homme de ce pays-là qui connaît tout mon bien comme sa chambre……


Le marquis et Quesnet travaillent à obtenir la grâce de Gaufridy et de son fils. (16 frimaire, an III).

……La malheureuse habitude que dix mois de prison m’a fait acquérir de faire des pétitions tant pour moi que mes camarades de malheur, qui tous s’adressaient généralement à moi, cette malheureuse habitude, dis-je, rend parfaitement inutile la consultation que vous voulez que je fasse pour vous. Dès en recevant votre lettre je me suis rempli de votre affaire, et j’ai rédigé une pétition pour vous au comité de sûreté générale ; j’ai fait plus, je l’ai mise au net moi-même, et voilà pourquoi vous devez trouver ma main un peu fatiguée car la multitude de vos notes nécessitait un mémoire fort long. Enfin le voilà fait……

Ici, je m’interromps pour votre affaire. Mon amie arrive du comité de sûreté générale ; elle y a fait faire, par l’écrivain qui se charge de cela, une seconde copie de la pétition que j’ai rédigée, et, d’après les conseils qu’on lui a donnés, l’une de ces copies sera remise au comité même et l’autre à Goupilleau qui, par le plus grand bonheur du monde, se trouve membre de ce comité. On trouve votre affaire fort bonne et le rôle qu’y joue votre fils très intéressant…… Nous sommes à Paris dans cette espèce d’engourdissement qui a toujours précédé les grandes crises. Les esprits sont montés de manière à ce qu’il est présumable qu’elle sera heureuse. Nous en avons bien besoin……