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MARQUIS DE SADE — AN III.
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Il renvoie la lettre de change de neuf mille vingt-deux livres et garde celle de treize mille deux cent cinquante-quatre en affirmant, sur papier timbré, que la vente n’aura pas lieu si l’on ne lui consent, en sus des soixante et une mille livres demandées, un prêt de la somme qu’il a retenue. Gaufridy en assurera la restitution sur les rentrées qu’il effectuera pour son compte, et M. de Sade ajoute gravement qu’il « lit sa lettre devant témoins, qui attesteront qu’il a donné sa parole d’honneur qu’il en est bien ainsi ! » Le prêt sera, au demeurant, sans intérêt, mais le marquis abandonnera, en échange, la prochaine récolte du fonds vendu. Malgré leur mauvaise humeur, Gaufridy et Archias finissent par accepter ces prétentions. Au surplus c’est M. de Sade qui est le mauvais marchand de l’affaire, car la dépréciation du papier monnaie va réduire à rien la somme qu’il a touchée. Aussi prétend-il bientôt tirer de l’avocat un supplément aux treize mille deux cent cinquante-quatre francs dont il avait promis de se contenter, en même temps qu’il exprime d’amers regrets d’avoir consenti à l’aliénation du fonds et des fruits. Cette affaire, où le marquis n’hésite pas à se faire une arme de la position un peu fausse de Gaufridy, est conduite par lui avec le cynisme et la brutalité d’un homme qui ne voit que le but à atteindre, mais, une fois conclue, il couvre son cher avocat de fleurs et l’assure qu’il n’a jamais plus joui de sa confiance. Il reconnaît qu’il a commis une malhonnêteté, mais il y a été réduit par les funestes léthargies de son ami.

L’avilissement de l’assignat a pris une allure de chute. Fort heureusement il y a à Paris d’excellents moyens de faire valoir ses fonds, et le marquis se flatte de travailler de la grande manière l’argent qu’il a reçu ou qu’on voudra bien lui envoyer encore. C’est alors que M. de Sade, qui d’habitude n’y songe guère, se demande si le moment ne serait pas venu de racheter les rentes et les pensions dont son patrimoine est grevé et de liquider la succession de l’abbé, toujours en souffrance, en payant les quatre mille livres jadis promises aux créanciers. Cette dépense serait largement compensée par sa rentrée en possession du mobilier : les quelques livres rares qui se trouvent dans la bibliothèque du défunt suffiraient à la couvrir.

Par contre l’honnête Courtois, qui a offert, quand l’assignat était au pair, une somme de deux mille livres pour le rachat d’une redevance seigneuriale qu’aux termes de la loi il ne doit plus, devra payer, puisqu’il a la sottise de vouloir rassurer sa conscience en se rédimant, une somme de quatre-vingt mille livres. « Avec ça, écrit le marquis, je me