Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
354
CORRESPONDANCE INÉDITE DU

Malgré l’envoi des papiers ordonnant la levée du séquestre, Quinquin ne lui a plus donné signe de vie depuis le neuf thermidor. C’est un vilain homme, un égorgeur de province qui est rentré dans la poussière. Il en sort cependant pour annoncer que rien ne va, que les rentes ne sont pas payées, que la présence du citoyen Sade devient nécessaire et qu’on ne peut rien obtenir du receveur des domaines. Cette nouvelle étonne le marquis et il croit que Quinquin lui en donne à garder. Pourquoi le séquestre serait-il laissé à Mazan, alors qu’il a été levé sur tous ses autres biens ? Le district a d’ailleurs écrit à sa section et celle-ci a répondu que Sade était un excellent patriote. Cependant ce séquestre existe, au moins sur certaines parcelles, mais il concerne « l’émigré Sade » et cette équivoque se perpétue jusqu’au jour où la loi du dix-neuf thermidor, an V, fera étendre la mesure. Par paresse ou par diplomatie, pour ne pas faire penser aux enfants, peut-être pour avoir un prétexte commode à opposer aux réclamations des créanciers, on laisse sommeiller cette saisie peu dommageable, bien que Gaufridy ait promis d’agir comme il le ferait pour lui-même et que M. de Sade l’ait prié de ne pas perdre cette affaire de vue.

Rien n’est plus instructif que la correspondance que le marquis échange avec ses hommes d’affaires et ses fermiers. Elle peint au vif une situation qui s’est reproduite de nos jours et les mêmes défaillances de la conscience générale à la suite des mêmes difficultés et du même dérèglement économiques.

Les fermiers s’enrichissent ; on se jette les assignats à la tête ; la spéculation remplace le travail honnête et la démocratie, dont la fureur doctrinale s’est apaisée avec le neuf thermidor, se trouve consacrée, en pleine réaction thermidorienne, par le déplacement des richesses consécutif à la dépréciation du papier-monnaie et à la nouvelle répartition des terres. M. de Sade s’irrite de voir son fermier de la Coste faire, en une seule année, cinquante mille francs d’huile et acheter une campagne de cent mille francs, alors qu’il paie la rente de celle de son maître avec le prix de vente d’un cochon. Pour tenir la balance égale entre les anciens et les nouveaux riches, l’état recourt à une mesure qui contraint ou prétend contraindre les cultivateurs à rente sûre à payer la moitié de leur loyer en grains ou sur estimation de la récolte. M. de Sade presse aussitôt ses régisseurs d’augmenter « prodigieusement » les baux qu’ils passent, d’exiger le paiement en nature des fermiers qui ne sont pas à terme et une indemnité pour l’excès des gains qu’ils ont déjà faits.