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MARQUIS DE SADE — AN I.
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Où pourriez-vous trouver, je vous prie, une conformité plus entière ? Il ne tient qu’à vous de la détruire, mon cher avocat. Envoyez-moi mon argent ou écrivez, au moins, qu’on sache si vous êtes mort ou en vie ; et surtout ne me parlez pas d’arbre coupé, quand, faute de votre envoi, j’emprunte ici à un louis d’intérêt par jour !

Je vous supplie de me répondre et vous embrasse, le chagrin et la rancune bien avant dans le cœur.

Vous allez recevoir incessamment des nouveaux certificats de résidence. Comment se fait-il que ce soit par d’autres que j’apprenne que mon nom à Marseille a été imprimé et affiché sur une liste d’émigrés ? En attendant les certificats, si quelqu’un doutait de mon existence à Paris, montrez-leur cet imprimé ; ils verront que celui que sa section emploie comme secrétaire sert la chose publique et non pas l’émigration.


Le marquis conte à l’avocat sa rencontre avec le président de Montreuil. (6 avril).

……Vous n’imaginez pas comme on tracasse maintenant les ex-prêtres et les ex-nobles. On leur refuse même leur carte de sûreté (carte sans laquelle on peut être mis vingt fois en prison dans sa journée) s’ils ne justifient pas de leur naissance, de leur civisme, de leur imposition, etc., etc., etc…… Je vous remercie du tableau général des pensions ; c’est précisément ce que je demandais, mais, puisque tous les couvents et communautés sont abolis, pourquoi payé-je encore tant de pensions à des couvents ? Vous m’expliquerez cela, je vous prie, quand vous n’aurez rien de mieux à faire. Je ne conçois pas non plus pourquoi vous payez encore M. de Murs ; il y a bien longtemps que vous auriez dû me gagner cette pension-là. Tâchez au moins que j’en hérite car, s’il me prive de son héritage, au moins ne doit-il pas que je sois condamné à payer encore des rentes à ceux qui auront hérité à ma place. Mais comment cet homme vit-il encore ? Il a donc cent ans ? Éclaircissez-moi tout cela……

Une phrase m’effraie dans votre lettre : « Si Silvan manque, dites-vous, je serai très intrigué pour votre quartier de mai. » Ventre-saint-gris, avocat, vous me faites venir la fièvre en me disant une pareille chose !……

Mon argent, mon argent, je vous en conjure ; la crise où je suis dans la fin des mois qui précèdent les quartiers est affreuse, et je n’ai que les effets de votre amitié pour baume à ces cruelles plaies.

Je vous apprendrai pour nouvelle de famille que j’ai causé ce soir une heure avec le président de Montreuil. Il y avait près de quinze ans que cela ne nous était arrivé. Il est venu à notre assemblée de section dont je suis secrétaire, et cela s’est passé le plus joliment du monde ; j’ai vu le moment où il m’invitait d’aller chez lui.

Bonsoir, cher avocat, au nom du ciel ne m’abandonnez pas. Vous savez qu’il n’y a plus qu’un an. Ne me laissez pas manquer jusque là……