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MARQUIS DE SADE — AN I.
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et, quoique mon voyage dans ce pays-là ne soit plus maintenant fort éloigné, je n’oserais pourtant pas répondre, au train dont tout y va depuis quelque temps, qu’il me restât en y arrivant un malheureux coin pour y mettre ma tête. Pépin, de Saumane, m’écrit la lettre la plus extraordinaire et la plus effrayante, et le malheureux accord qu’elle a avec celle de M. votre fils, que je vous ai dernièrement envoyée, ne sert qu’à redoubler et confirmer mes craintes.

Extrait de la lettre de Pépin :

Jusqu’à ce moment-ci lui seul a prévenu et empêché la démolition du château de Saumane ; il n’en est plus le maître et, sans dire positivement si ce sont les Saumanois ou le club des jacobins de l’Isle, « on veut (poursuit Pépin) absolument jeter votre château par terre, à moins que vous ne donniez sur le champ trois mille six cents francs pour le racheter… »

Après avoir été quinze ans victime du despotisme, est-il possible que ce soit à moi que l’on veuille faire une telle horreur ? Horreur déjà faite, à ce que l’on me dit, à la Coste, parce qu’on y a trouvé des blés accaparés ! Tout cela est-il vrai ? Je dis plus, tout cela (vous ayant pour ami et pour surveillant) peut-il être vrai ? Éclairez-moi, écrivez-moi, tirez-moi donc de peine, je vous en conjure. Qui sème donc tous ces troubles dans mes malheureuses possessions depuis quelque temps ? Quoi ! l’on ne veut pas me donner le temps d’arriver ! Mais je n’en puis douter, mon ami, il y a une bande de fripons, de scélérats déchaînés contre moi. Au nom de Dieu, éclaircissez-moi donc tout cela ! Pourquoi ne voulez-vous pas venir à Paris ? Si vous êtes obligé de vous cacher, venez à Paris, on n’y court plus aucun risque. Si vous n’y êtes pas obligé, retournez donc en Provence, car on m’y écrase pendant votre absence. Vous avez laissé sans réponse cinq ou six dernières lettres très essentielles, qui doivent vous être parvenues à Lyon, une, entre autres, à deux colonnes. Dans celle laissée en blanc, je vous suppliais de répondre aux objets de la dernière importance contenus dans la colonne que j’avais remplie……

J’oubliais de vous dire que Pépin joint encore dans sa lettre qu’il a fait ôter le peu qu’il y avait de meubles à Saumane, et qu’il l’a fait mettre en sûreté. De quel droit cet homme a-t-il fait cela ? Qui me répond de ces effets ?……


Le marquis supplie l’avocat de retourner en Provence ; il apprend l’étendue de son malheur et ne peut concevoir que la Révolution lui ait joué ce tour-là. (Sans date).

Voici, mon cher Gaufridy, la lettre la plus importante que je vous aie encore écrite. Ayez la complaisance, je vous en conjure, de la méditer avec attention et de m’y répondre phrase par phrase.

Il y a, mon bon et cher ami, plus de quarante ans que nous nous connaissons, nous avons pour ainsi dire été élevés ensemble ; je n’ai jamais