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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


Le marquis adjure l’avocat de ne pas l’abandonner. (25 août 1792).

Ne m’accusez pas de ne point entrer dans votre position, mon cher avocat, je la sens et l’éprouve comme si j’y étais personnellement, mais, dans le cruel moment où nous sommes, l’excès des peines que chacun endure empêche d’être aussi sensible aux maux des autres que l’on le serait si l’on n’en éprouvait pas soi-même. Quelles que soient vos peines personnelles, daignez considérer que vous êtes chez vous, dans votre patrie, entouré d’amis et de secours, au lieu que moi je suis ici seul, absolument seul aujourd’hui. La journée du dix m’a tout enlevé, parents, amis, famille, protection, secours ; trois heures ont tout ravi d’autour de moi, je suis seul… Ma seule existence dépend de vous ; si vous me manquez, vous me réduisez ce qui s’appelle à aller mendier mon pain. Je ne l’irai pas chercher chez vous, puisque nous sommes enfermés dans Paris, et nous, parents d’émigrés, comme si c’était notre faute, sous la surveillance de la loi, défense de quitter Paris, et à la veille, peut-être, des plus grands malheurs !.. Voilà la situation où vous m’abandonnez, où vous me mandez froidement de m’adresser à d’autres. Vous sentez que votre lettre du quinze août, où sont exprimés ces cruels sentiments, vient exactement de me mettre le poignard dans le cœur. Je n’ai qu’un mot à répondre sur cela : j’invoque votre ancienne amitié ; j’invoque le seul sentiment d’humanité que vous auriez pour un inconnu. Envoyez-moi des secours sur le champ……


Le marquis, malade et sans le sol, demande à l’avocat de l’argent et des armes contre les calomnies de la Soton.

Nous voilà donc, mon cher avocat, au terme où mon quartier m’est indispensable, au terme où je ne sais exactement comment faire, faute de cet argent, et nous voilà, dis-je, à ce terme sans avoir reçu un sol de vous, ni d’aucun côté. Je vous écris celle-ci à la hâte pour vous conjurer de ne pas me laisser plus longtemps dans cette crise. Tous les malheurs me poursuivent à la fois. Je suis malade, je fais des remèdes, et nous sommes si tellement écrasés dans notre section que je n’ai pas même le temps de me guérir. Je suis à la fois aujourd’hui de garde aux Tuileries et de surveillance à la section, malade comme une bête et pas un sol……

Passons à votre seconde lettre sans date. Il s’agit de la Soton. Cette coquine continue ; avant-hier elle me fit passer une lettre de sa mère, remplie de menaces et d’horreurs. Cette lettre, inlisible par son style et par son caractère, laisse pourtant apercevoir qu’il s’agit de prétendues confidences à elle faites par Gothon et qu’elle veut révéler. Or ces confidences, comme vous le sentez, roulent sur toutes les calomnies inventées sur moi pendant les cinq années de la contumace. Envoyez-moi donc le plus tôt possible le certificat que je vous demande. Tâchez de plus de me faire signer celui-ci par le plus de personnes que vous pourrez, et au besoin cela fera tout tomber……