Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
— XXIV —


pris part, du conflit qui a dressé les uns contre les autres les membres de la famille du marquis.

Cette lutte, qui eut pour double enjeu la liberté de M. de Sade et l’honneur de son nom, ne fut pas seulement une affaire privée. L’état royal et ses institutions y ont été mêlés et le dénouement en a été changé par leur ruine. La correspondance réunie par l’avocat est intéressante à ce titre. Nous sommes trop portés à recomposer le passé en le rattachant à nous, alors que ceux qui l’ont vécu en voyaient les péripéties d’une façon inverse de la nôtre et les liaient à un passé plus ancien. Cette longue suite de lettres nous fait franchir le heurt en compagnie de gens qui n’ont point eu le sentiment qu’en changeant d’horizon ils se départaient de leur route.

La société où vivait le marquis, au début de notre chronique, était semblable à l’eau qui s’amasse et s’apaise dans le bief d’un moulin avant de tomber sur la roue. La révolution a été précédée d’une sorte de stagnation politique amenée par l’échec de Maupéou. L’ordre royal a été secrètement blessé à mort par une absurde conjuration des trois ordres ralliés sous la fausse bannière libérale des parlements. Les grands rouages tournent sans engrener, les intendants ont perdu leur autorité, le clergé est peuple par le pied et courtisan par la tête, la noblesse terrienne est aussi incapable de justifier ses privilèges que d’en imposer l’exercice à ses vassaux, celle de cour n’est qu’un cadavre magnifiquement embaumé et qui accable de son poids le roi et la nation avec lui. Tout obéit, mais par intrigue, à la bureaucratie ministérielle, et les ministres eux-mêmes sont asservis aux influences des salons et des prétoires. Les gens de robe sont partout, l’autorité ne réside plus que dans la police.

Cependant le pouvoir personnel n’a pas été dépouillé de son prestige ; l’attachement séculaire à la personne royale se réveille à chaque changement de monarque et suffit à maintenir les disciplines d’une civilisation qui n’a pas conscience de toucher à sa fin.

Elle ne ressemble guère à ce qu’on enseigne encore et les lettres du fonds Gaufridy en font foi. Le tiers ne répond pas à ce que nous appelons aujourd’hui le peuple. Il est, en réalité, composé de groupes étroitement agencés et qui diffèrent moins les uns des autres par l’inégalité de leurs conditions que par la permanence de leurs traditions et l’originalité de leurs coutumes. L’ensemble forme un tout complexe, mais extraordinairement vigoureux et dans lequel une sève puissante