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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


la lettre que vous avez la complaisance de me transcrire d’elle, la confiance qu’elle vous donne, tout cela est si fort en ma faveur qu’il me semble que rien ne doit être aisé comme de l’amener au but que je vous indique ici, et il me semble qu’alors nous serions tranquilles. Je trouve comme vous le testament de ma chère cousine bien ridicule, et M. de Caderousse mérite assurément tous mes remerciements d’avoir agi de cette manière. Je suis désespéré de m’être si fort pressé d’apprendre au chevalier, comme vous me l’aviez dit d’abord, son legs de six mille livres ; il se trouve donc maintenant que ni l’un ni l’autre n’ont rien. Je crois qu’ils étaient en prière pour elle, mais je vous réponds que je vais leur mander de se relever ! On m’avait dit que, depuis la révolution, cette femme n’avait pas sa tête bien à elle : son ridicule testament le prouve. Hélas oui ! cher avocat, le point essentiel est que l’argent comptant ne s’égare pas ! Et si beaucoup de mains se trouvent à l’ouverture de ce scellé, il s’égarera ; cela n’est que trop sûr. Il faut donc y avoir l’œil, et l’œil le plus vigilant, mon cher avocat. Je ne permets à cet argent de s’égarer que pour prendre la route de la rue Neuve-des-Mathurins. S’il y arrive, il sera bien reçu, je vous en réponds. Ma dernière détermination est donc que vous devez tout faire pour accaparer l’argent de la cassette, et me l’envoyer pour acheter ma maison. Je ferai la rente de cet argent, et, me trouvant héritier naturellement de madame de Villeneuve, je cesserai de faire cette rente, n’est-ce pas, à la mort de madame de Villeneuve ? Mandez-moi si j’entends bien la chose……

J’ai enfin paru en public, mon cher avocat. On a joué samedi dernier vingt-deux, une pièce de moi[1] dont le succès, grâce aux cabales, aux trains, aux femmes dont je disais du mal, a été fort balancé. Elle se redonne samedi vingt-neuf avec des changements ; priez pour moi, nous verrons. Adieu. Mille et mille remerciements de vos soins. Il ne faut que lire votre dernière pour y voir l’amitié, la candeur y respirer à chaque ligne. Croyez que mon éternel attachement répond bien à vos procédés.


Le marquis pense que le meilleur moyen de ne pas perdre son temps et ses peines avec madame de Villeneuve serait d’en tirer de l’argent tout de suite. Il parle de ses fils, de sa cousine, de ses projets, de ses confitures, de ses effets perdus, de son procès avec sa femme, de la constitution et du roi.

Je réponds, mon cher avocat, à votre lettre en date du vingt-trois octobre et vais, suivant mon usage, le faire ligne par ligne.

D’abord, j’ai trouvé dedans un certain petit chiffon de papier bleu que je n’ai point du tout pris pour du papier à sucre et qui m’a flatté l’œil.

  1. « Oxtiern ou les Effets du Libertinage », trois actes en prose, joués au théâtre Molière, rue Saint-Martin, les vingt-deux octobre et quatre novembre 1791. La proclamation du nom de l’auteur provoqua du tumulte à la seconde représentation.