à mon boucher et à mon boulanger. Ces animaux-là, fort bêtes comme vous
allez en juger, m’ont répondu qu’ils ne savaient pas ce qu’était Arles.
« Si la personne dont vous nous montrez la lettre, m’ont-ils dit, avait écrit,
au lieu de ce que vous nous montrez : « Vous aurez votre argent tel jour »,
nous continuerions de vous fournir, mais, dès qu’il n’a fait qu’écrire à Arles
lequel Arles n’est peut-être qu’un fripon, un banqueroutier, vous trouverez
bon que nous ne vous fournissions plus. » Et, en conséquence, comme ce
jour-là je n’avais pour tout bien qu’un assignat de cinquante livres dont
personne ne voulait parce que l’argent était au vingt et un pour cent, je
me suis couché sans dîner et sans souper…… On assure que nos émigrants
sont vexés : je lisais hier une lettre du cardinal de Montmorency qui disait
qu’on lui louait deux petites chambres à Trêves dix louis par jour et qu’on
lui faisait payer la viande six francs la livre. Cela est affreux, mais ce que
nous éprouvons l’est bien autant sans doute, puisqu’il est extrêmement
pénible de mourir de faim ici avec plein son portefeuille de billets……
Je vois tous les malheurs qui ont résulté de la méfiance de madame de Sade pour ceux qui méritaient tout d’elle, et son aveuglement pour la demoiselle Rousset qui, je vous l’avoue, m’étonne d’autant plus qu’elles étaient ici fort mal ensemble. Tout cela est fort extraordinaire, et je vois que la Rousset en prenait beaucoup sur son compte……
……Il est venu avant-hier se faire écrire à ma porte un homme qui s’est dit le curé de la Coste. J’ignore si c’est l’ancien ou celui de Longjumeau. Comme cet homme est parti, il n’y a plus que de vous que je puisse savoir lequel est de ces deux curés qui est venu me faire une visite ; mandez-le moi, je vous prie. Vous avez fort bien fait de prendre des précautions sur ma lettre à ma tante, car j’ignore si je n’avais pas un peu travaillé les brigands, et il faut respecter l’ours quand on est dans ses griffes. Évitons la contribution du quart, je vous en conjure ; battons-nous plutôt que de la donner, ou, comme vous dites, faisons-leur beaucoup de caresses pour qu’ils ne nous mangent pas……
Ce jour de Pentecôte, 12 juin 1791.
Un post-scriptum vous vaudra une lettre, mon cher et féal seigneur. J’en suis bien fâché, mais pourquoi diable vous avisez-vous de m’attaquer ? Me méfier des coulisses… moi ? Ah ! je vous en réponds que je m’en