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CORRESPONDANCE INÉDITE DU

Mais je prendrai les voies de droit quand il en sera temps pour l’obliger à remplir ses engagements, suite de ma séparation judiciairement prononcée. Il ne peut en aucune manière revenir contre cet acte. Loin qu’il ait à s’en plaindre, il y trouve un grand avantage, ne payant que quatre mille francs d’intérêts pour une somme de cent soixante mille francs qu’il me doit.

Si ses terres ne produisent pas assez pour lui faire dix mille francs de rente net pour sa dépense, ce n’est pas ma faute, ni ma faute si mon bien a passé à acquitter ses dettes.

J’ai mes enfants à entretenir ; je ne peux plus faire aucun sacrifice au delà de celui que j’ai fait dans la transaction……


Le marquis parle de la mort et des obsèques de Mirabeau.

……Rien n’égale la sensation que cette mort a produite ici. Le peuple se porte en foule vers les spectacles et les fait interrompre. Quelques personnes, moins enthousiastes du libérateur de la France, trouvèrent mauvaise cette interruption et l’un de ces interrupteurs a été traîné dans le Palais-Royal et devenu ensuite je ne sais quoi. Cela a fait beaucoup de train. Je fus le soir au Palais-Royal, où très véritablement l’impression de la douleur était peinte sur tous les visages. Il régnait un silence lugubre et beaucoup d’attroupements. La mort du secrétaire qui s’est donné quinze coups de canif est fort extraordinaire[1]. On a soupçonné, et l’on soupçonne fortement encore cet homme d’avoir coopéré à la mort de son patron. Je ne sais si le temps éclaircira cette sombre énigme……

Ce mardi matin 5 avril.

Le libérateur a été enterré hier à sept heures du soir, ou, plutôt provisoirement déposé à la paroisse de Saint-Eustache pour être porté et inhumé ensuite à Sainte-Geneviève qui le réclame à titre de patronne de Paris. Il est juste que la patronne ait le libérateur. Le convoi était superbe ; tous les corps possibles assistaient et M. d’Orléans en tête. Toutes les cloches de Paris étaient en branle. Préalablement, le libérateur avait été ouvert pour vérifier s’il y avait ou non du poison dans ses entrailles, et, de la foule énorme qui n’avait pas quitté sa porte depuis qu’il était mort, on avait tiré au hasard douze hommes du peuple pour assister à cette ouverture. Les bons Parisiens, bien contents de voir que le libérateur était mort de sa belle mort, ne menaçaient plus de tuer tous les aristocrates qu’ils soupçonnaient auparavant être cause de ce grand malheur……

La rue où est mort le libérateur[2] change de nom et prend celui de rue de Mirabeau.

  1. Ce secrétaire, nommé de Comps, n’était pas mort et a même fait de son suicide un sujet d’article. Il fut interrogé, le vingt-deux mars 1793, sur la disparition des papiers politiques de Mirabeau.
  2. Chaussée d’Antin