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dramatiques et moins vraisemblables. Le mari travaillait seul ou avec son valet.

Sade fut arrêté sur la plainte de Keller, puis conduit au château de Pierre-Encize, à Lyon. Il n’y resta que quelques semaines. La plaignante reçut de l’argent et gagna peut-être à cette aventure notoriété et profit.

Le marquis passe, au moins en partie, et peut-être par ordre, les années qui suivent à la Coste. Il y est à la fin de 1771, vraisemblablement avec la marquise et les trois enfants qu’il lui a faits. Un long mémoire établi par le sieur Légier, confiseur, détaille les articles qu’il a livrés au château, entre le 19 décembre 1771 et le 5 novembre 1772 : pommades en bâtons et en pots, amandes et pâtes d’amandes, sucre raffiné et cassonade, pralines et azeroles au sucre, coings, chinois, gelées et marmelades, oranges de Portugal et fleurs d’orange, biscuits et « vermichelly », moutarde et poivre blanc, eau de lavande et savonnettes, colle forte et pierres d’indigo.

Mais la marquise, ou, plus exactement, la présidente, car la volonté de madame de Sade ne compte plus, a laissé venir à la Coste Louise de Launay. Ce qui s’ensuit est inévitable, et j’en abrège le récit que l’on trouvera tout au long dans un mémoire de l’année 1774. En juin 1772, le marquis part pour Marseille ; il veut, dit-on, forcer par cette absence les dernières résistances de Louise qui ne se défend plus de l’aimer. Mais cet amour ne le détourne pas de sa vraie voie : il se rend tout droit au bordel, soûle les filles, leur distribue des bonbons cantharidés et obtient d’elles par ce moyen des complaisances ou une abstention qui sont également de nature à faire tort à leur métier. Les catins jouent d’abord le jeu à croix et à pile avec plus de chaleur qu’elles n’y mettent d’ordinaire, mais les chocolats de l’apothicaire ne tardent pas à les travailler : deux se croient empoisonnées, les autres sont malades. La scène fait grand bruit. Le marquis, qui a de l’argent plein ses poches, repart pour la Coste sans se soucier d’étouffer cette rumeur. Le procureur du roi se saisit de l’affaire et l’on informe avec une célérité extrême. Il ne faut pas oublier que ce sont les magistrats de Maupeou qui ont alors la judicature et que les Montreuil sont acquis corps et âme à l’ancien parlement. Le marquis est accusé d’empoisonnement et de pédérastie. Il ne songe guère à se défendre de ce second chef, et l’on verra, par une de ses lettres, que, s’il n’a pas tenté d’empoisonner les filles, il a du moins donné les mouches cantharides pour feindre