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MARQUIS DE SADE — 1790
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fait les deux ensemble, en appelle au ciel du tort qu’on lui fait et du désespoir où on le jette. À peine satisfait, il oublie tout, jure que nul n’est plus près de son cœur que son cher avocat et toutefois commence à réimposer l’antienne en vue du prochain quartier ! Au demeurant l’imprévoyante cupidité qu’il affiche aux périodes de disette cède parfois la place à des préoccupations plus prudentes et plus hypocrites. Il a de certaines façons, à la fois sournoises et subtiles, d’interroger l’avocat sur l’usage qu’il fait de la liberté qu’on lui laisse. Il a toujours dans son tiroir quelque lettre de Provence qui lui signale des manquements ou des abus. M. de Sade méprise certes profondément de pareilles insinuations, mais enfin il les fait connaître, tout en jurant que ses questions ne doivent point être interprétées comme des marques de défiance, ni même comme un désir de savoir, mais seulement comme un moyen de purger son esprit des énigmes qu’on lui propose.

À peine libre, le marquis s’installe rue et hôtel du Bouloir, district Saint-Honoré, puis rue Honoré-Chevalier, paroisse Saint-Sulpice. Il se lie « de pure amitié » avec la présidente de Fleurieu, veuve d’un magistrat de Grenoble. Elle a quarante ans et lui cinquante, mais ils ne totalisent pas ! Ce qui l’embrasait autrefois le laisse désormais sans désir. Il fait lui-même le tableau de son état physique et de ses pensées. La prison et l’abus des confitures l’ont rendu énorme. Il grelotte la fièvre en surveillant le charroi de ses effets.

Ses fils viennent le visiter et il se flatte de les emmener en Provence pour les initier aux affaires ! Mais ils se détachent de lui ou quittent Paris, et le marquis ne les voit plus guère. Vers la fin de l’année, madame de Sade, qui est toujours à Sainte-Aure, apprend à l’avocat que son aîné va partir « pour les îles », en Amérique.

Un des premiers soins du marquis est de se faire envoyer une partie des meubles et des hardes qui se trouvent en Provence. Le premier envoi que lui fait Gaufridy ne le satisfait pas. « C’est, dit-il, le magasin des habits comiques du théâtre de la Coste ! » L’avocat en fait successivement deux autres, mais il apporte une telle négligence à préparer le quatrième que le château sera pillé avant qu’il soit parti.

Madame de Sade a mis son projet à exécution et présenté requête au Châtelet pour obtenir la séparation. Elle ne dit que ce qu’il faut que les magistrats connaissent, mais elle ne peut faire l’apologie de son mari et se défendra mieux si on l’y contraint. Le marquis trouve le procédé détestable et digne de la « canaille montreuillique » ; toutefois