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huit cents livres, mais, le vingt-six mai, le sieur de Milly, procureur du marquis (le même chez qui il ira frapper en sortant de Bicêtre, le jour de vendredi-saint 1790), correspond avec madame de Sade à l’occasion d’un procès que ledit Gallier fait ou veut faire à son incommode locataire ; la marquise paie une dernière fois le loyer, mais en donnant congé pour Paques suivantes. Par ailleurs le marquis possède simultanément une chambre dans la rue des Carmélites au prix de huit livres dix sols par trimestre, un logement à Versailles, loué vingt-sept livres dix sols le quartier, dont madame de Sade donne également congé pour le huit octobre 1768, et enfin, à Paris, l’appartement no 3, au deuxième étage de la maison de MM. Ollier et Camus, pour lequel la même dame paie, le seize janvier 1768, cent soixante-quinze livres, correspondant à deux quartiers, au régisseur de l’immeuble. Ces quittances réunies ont bien mauvaise langue !

C’est le trois avril 1768 qu’arrive l’affaire d’Arcueil. Elle fait aussitôt scandale et d’ailleurs ne surprend personne, mais on en parle ou on en écrit surtout par ouï-dire. L’intervention toute puissante de madame de Montreuil arrête les poursuites, et la première accusation criminelle qui ait été portée contre le marquis n’a point abouti à une sentence. L’incertitude où nous sommes encore des faits a été largement exploitée à sa décharge, mais le danger est, en pareille occurence, de dramatiser à l’excès ou d’innocenter par système, et les récidives dont notre correspondance apporte la preuve se rapprochent trop du récit que madame du Deffand a laissé de l’attentat contre Keller, dans ses lettres à Walpole, pour ne pas en consacrer l’autorité, car la monotonie est un des caractères propres aux inventions du stupre. On connaît l’histoire. Sade rencontre dans la rue une femme qui lui demande l’aumône. Cette pauvresse s’appelle Rose Keller ; elle est âgée de trente ans. Le marquis feint de s’intéresser à elle ; il l’amène à sa petite maison d’Arcueil, la force à se dénuder, la lie, la fouette au sang, lui fait avec un canif des incisions dans le gras des chairs, fait couler entre les lèvres des blessures de la cire d’Espagne chaude et quitte sa victime d’un grand sang-froid. Selon l’anecdotier Hardy, qui conte la même aventure avec des variantes plus marquées, il s’offre également à la confesser. Après le départ du marquis, Keller parvient à dénouer ses liens ; elle descend par la fenêtre en s’aidant des draps et des couvertures du lit et va porter sa plainte au juge d’Arcueil. D’autres récits, laissés par Rétif de la Bretonne, par Jules Janin et par Brière de Boismond sont plus