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MARQUIS DE SADE — 1789
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son fils une menace de ce genre, si voilée soit-elle. D’autre part madame de Sade et les siens ne doivent pas pâtir de ce qui a été fait à leur insu et les créances que leur maison a contre la succession du grand prieur ne peuvent rester impayées, pas plus que l’ordre n’a le droit de s’approprier la dépouille de l’abbé qui se trouve encore confondue avec celle de son frère. Les pertes et les charges sont évidentes : le grand prieur a vendu les effets de l’abbé et n’a pas tenu sa promesse de payer les dettes ; il a disposé des biens de son neveu sans y mettre du sien ; il a engagé des dépenses qui ne devaient profiter qu’à lui ; il détient la majeure partie de la vaisselle du marquis ; Gaufridy est allé jusqu’à payer pour lui le loyer de Saint-Cloud. L’avocat fait valoir ces raisons auprès de M. de Foresta, receveur de l’ordre à Marseille, mais le mémoire qu’il a établi est trop véridique et peu bienséant. Le respect pour le grand prieur a survécu à la désillusion que sa mort a causée à la famille. L’espoir que l’on avait placé en lui n’était pas déraisonnable. « Il est mort trois mois trop tôt », écrit madame de Montreuil, qui s’oppose à ce qu’on fasse état d’une requête peu respectueuse de sa mémoire.

La marquise, que le décès du grand prieur n’a point décidé à reprendre la direction des affaires, continue cependant à correspondre avec Gaufridy et consacre une partie de ses lettres aux événements publics. Les autres correspondants de l’avocat se font pareillement l’écho des bruits de la rue ou des nouvelles qui courent le pays. Les excès auxquels se porte le peuple, à Paris, en province et dans le Comtat, sont un sujet d’étonnement pour ces êtres dont le libéralisme philosophique est d’ores et déjà dépassé. « Le clergé et la noblesse ont beau adhérer à tout, écrit la marquise, on leur en veut toujours. » Elle remarque avec beaucoup de sens qu’il est plus facile de blâmer les coupables que de ne pas faire pâtir les innocents et attend qu’un semblant de bien sorte d’une si grande effervescence. Mais elle ne voit rien venir : la belle monnaie disparaît, les impôts ne rentrent plus, les greniers publics se vident par d’invisibles fissures plus vite qu’on ne les remplit, la bourgeoisie se donne en vain beaucoup de mal pour apaiser les cris que l’enthousiasme, la colère ou la faim arrachent au peuple. On ne sait plus à qui entendre et comment se conduire : de quelque façon qu’on prenne la chose et qu’on la juge, la paix française va prendre fin avec le régime qui l’a faite, ou imposée.

M. de Sade se porte bien et se montre toujours impatient dans