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1782


Le désordre laissé par Gothon ne fait que croître sous la régence de Rousset. La demoiselle gâte et bouleverse tout, selon Gaufridy, et sa famille la suit en tendant les mains. Il semble seulement qu’elle ait usé jusqu’à l’abus, mais c’est en vain qu’elle prétend mener les gens et met en personne la main à la pâte. L’autorité dont elle se pare est un manteau troué qui a déjà fait rire sur d’autres épaules. Les officiers du maître absent et décrédité sont eux-mêmes sans force ; elle rebute tout le monde et les Costains se moquent de ce lieutenant en jupon sans lui pardonner ses allures.

Le seigneur a cessé de payer, depuis plusieurs années, la taxe qu’il doit servir au bureau de bienfaisance et les recteurs prennent maintes délibérations pour constater son manquement, tandis que les pauvres sont couverts de vermine ou meurent de faim. Le village est plein de tumulte ; on vole ; on brûle ; on coupe les arbres du parc ; on tire le gibier du marquis jusque sous ses fenêtres ; son château même n’est pas respecté et des coquines s’y réfugient pendant la nuit.

Le père de Gothon écrit de Suisse pour savoir ce qu’est devenu l’enfant qu’elle a mis au monde dix jours avant sa mort, si c’est le père qui le garde, quel est l’état et le caractère de son gendre, s’il dispose et fait un bon emploi de l’argent que sa fille a dû gagner en dix-huit ans de service. Cette épître huguenote, pleine de retenue et de rigidité un peu froide, est le seul souvenir décent qui ait été accordé aux cendres de la renégate.

Madame de Sade ne se plaint point de son établissement à Sainte-Aure. On y mange peu et mal, mais on n’y est importuné que par un excès de zèle pieux qui, somme toute, laisse l’esprit en paix. Il faut être dévote par conviction ou par hypocrisie : la marquise le devient par entraînement le plus honnêtement du monde.