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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


de Versailles, de Vincennes, de Meaux ; la rue des Bons-Enfants était une rivière de feu. On aurait cuit des harengs sur les charbons dans de certaines rues du côté de la place des Victoires. Les ouvreuses de loges, les garçons de théâtre, les machinistes (de ces derniers il s’en est sauvé trois), quelques acteurs et actrices, presque tout le dernier ballet, hommes et femmes, les chœurs, les élèves, des officiers qui étaient allés trouver leurs maîtresses, entre autres un officier aux gardes, tout cela a été brûlé ! L’on n’a pu encore retrouver que neuf corps. Le reste paraît réduit en cendres. Il y avait un réservoir de quinze cents muids d’eau avec des robinets tout autour : il n’y avait pas une goutte d’eau dedans, parce que MM. les directeurs mettaient l’argent à leur poche, ce qui leur faisait…[1] écus par an. Il a fallu à grands coups de maillet faire tourner les robinets qui se sont trouvés tous vides et l’homme chargé de les tourner y est péri. L’on [n’] a pu couper les cordes des machines faute d’ouvriers, parce que l’on avait supprimé dix machinistes pour mettre l’argent dans leur poche.

Il pleuvait à verse, ce qui a sauvé Paris parce que les flammes et charbons, flammèches qui tombaient dessus s’éteignaient ou glissaient dans les rues.

La Jeunesse, qui a vu le mont Vésuve, prétend que cela en donnait l’image.

Dans le premier moment, si l’on avait eu une carafe d’eau à la main, on l’éteignait. C’est une bougie qui a mis le feu aux coulisses. Un spectateur a sauté sur le théâtre, a tenu le feu dans sa main pendant un moment, mais, n’ayant pas d’eau, cela a gagné, et obligé de laisser tout aller. Le prince de Nassau a monté le premier à la tête des pompiers. La flamme sortait par la loge de M. le duc de Chartres dans le Palais-Royal, gros comme un homme. [On a fait] sur le champ une chaîne d’hommes dans les cours et dans le jardin avec des seaux que l’on se passait. Cordons bleus ou rouges, tous travaillaient. Cela a sauvé le Palais-Royal, il n’y a que la salle de brûlée……


La marquise apprend à mademoiselle de Rousset que M. de Sade est devenu jaloux de Lefèvre et de madame de Villet. (27 juillet).

Vous avez bien jugé le personnage. Depuis que je l’ai vu, il me désole par mille chimères qu’il se met en tête ; ne sachant plus que faire il est jaloux. Je vous vois d’ici rire. « Et de quoi, me direz-vous ? » De Lefèvre (il me fait beaucoup d’honneur, n’est-ce pas ?) parce que je lui ai dit que Lefèvre m’avait acheté quelques livres pour lui. Il est jaloux de madame de Villet parce que je lui ai écrit qu’elle me proposait d’aller demeurer avec elle. Je vais couper court à tout cela en me mettant au couvent, comme je le désire depuis longtemps, et dans le vrai j’aurais beaucoup mieux fait.

  1. Le chiffre manque ; les vers ont fait du papier de cette lettre une dentelle.