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MARQUIS DE SADE — 1781
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ne veut pas lui permettre de venir le détromper, sans en avoir reçu l’autorisation du ministre.

Lorsqu’elle le revoit, après trois mois, elle le trouve fort changé. Il lui parle en termes si honnêtes de ses parents, bien qu’ils lui aient fait tout le mal possible, que la marquise en est touchée jusqu’aux larmes. Il se déclare prêt, enfin, à nommer Gaufridy au poste de juge et à donner une procuration à sa femme. M. le Noir « tressaille de joie » à cette nouvelle et la marquise se hâte d’en aviser les consuls de la Coste. Mais la grâce octroyée est bientôt démentie. Il faut revenir sur l’annonce qui en a été faite et chercher autre chose. Si mademoiselle de Rousset voulait intervenir auprès de M. de la Tour et de M. de Castillon et obtenait d’eux qu’ils demandassent l’exil à Montélimar, ce serait « un coup de partie ». Mais la demoiselle ne daigne pas discuter la proposition et se borne à écrire au bas de la lettre : « Non pas, s’il vous plaît ! »

Cette fille hautaine, active et quasi moribonde use et peut-être abuse de tout en maîtresse absolue. Gaufridy, qui n’est après tout qu’un bourgeois que l’on veut bien aimer à la folie, est réduit à lui servir de gendarme car elle est en perpétuelle dispute avec tous ceux qui l’entourent, et notamment avec le garde qui ne fait bonne chasse qu’en femmes.

À Paris la marquise ne se trouve point mal dans sa dévote maison, où Rousset a laissé une réputation de grande piété que madame ne croit pas devoir démentir. Sa fille Laure va mieux ; ses fils vont venir se loger chez un sieur Niccolo, à la barrière de Sèvres, « l’école militaire n’ayant pas lieu pour des raisons qui regardent l’école même. »

Tout le reste de la famille reste dans une léthargie qui pèse lourdement sur la destinée du marquis. C’est à peine si, de temps à autre, quelqu’un de ces dormants esquisse un geste inattendu, bizarre ou grotesque. La benoîte tante de Cavaillon, qui aime d’autant plus ses amis que ses yeux de myope ne dépassent guère leur cercle, recommande un nouvel abbé pour le service de messes qui se célèbre dans la chapelle du Thor, remercie de l’huile qu’on lui a envoyée et demande encore deux perdreaux.

Une dame Doyen de Baudoin s’enquiert, pour la première fois, de ce qu’est devenu M. de Sade. Elle se plaint de son silence en termes pitoyables et doux et veut savoir s’il est heureux ou malheureux.