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CORRESPONDANCE INÉDITE DU MARQUIS DE SADE — 1780


et sur son sort qui, quoique triste, lui est peut-être plus avantageux que tout autre……


Mademoiselle de Rousset revient sur les raisons de l’emprisonnement du marquis. (23 octobre 1780).

……Il est des motifs graves, très graves, qui me font craindre une longue captivité. Qu’ils soient vrais ou faux, ils n’en sont pas moins les chevaux de bataille du ministre pour fermer la bouche à tous les honnêtes gens. M. et madame de Maurepas, deux princesses et quelques autres ont dit après avoir vu et lu les motifs : « Il est bien où il est ; sa femme est folle ou coupable comme lui pour oser demander sa liberté. Nous ne voulons pas la voir…… »

Les différents exempts qui ont été au château ont fait des dépositions abominables. Ces gens-là sont crus. Toute la vie de M. de S. est écrite sur un in-folio ; (ôtons le nom) l’homme est à pendre ! Quelques particularités que je croyais n’être sues que de peu de personnes sont mises au grand jour et beaucoup d’autres choses, grand Dieu ! qui exigent le plus profond silence, me font croire une longue captivité. Cependant, comme c’est ici le pays des inconséquences, je ne vous répondrai de rien……


Mademoiselle de Rousset dépeint ses relations avec madame de Sade et sa vie chez elle. (15 novembre 1780).

……La personne ici en question se flatte toujours ; telle est sa folie. Elle a vu et entendu ; je lui ai dit et fait des réflexions les plus justes et les plus sages. Elle s’étourdit si bien là-dessus qu’elle me dit journellement avec le plus grand sang froid : « Quand M. de S. sera dehors nous ferons, nous dirons, etc. » Projets tous plus insensés les uns que les autres ! Je ris ou je lève les épaules ; je chante quelquefois ; elle me regarde et s’endort de dépit, mais d’un très bon sommeil qui n’est, ma foi, pas léthargique. Concevez-vous cela ? Ensuite nous travaillons à des chiffons, mangeons et dormons. Nous nous portons très bien. Voilà nos journées ; quand je dis nous, il ne faut pas tout à fait le prendre au pied de la lettre : ma santé a souffert et souffre encore de mille misères qui m’affectent…… Je vois bien que je serai forcée de faire encore le voyage pour mes péchés. Si quelque chose me dédommage, ce sera le plaisir de vous y embrasser, de n’avoir plus sous les yeux cette abominable galère ; je rajeunirai de dix ans. J’ai fixé mon départ au printemps prochain, si rien ne le dérange. J’en ai préludé quelque chose à ma compagne qui m’a fait la grimace avec l’air de n’en rien croire. C’est la seule tournure honnête que je trouve pour nous quitter décemment, et je concilierai par là mon goût et mes intérêts. Chez elle, je dépense beaucoup trop et je suis mal servie. Chez mes autres amis, je serai avec agrément et je ne dépenserai rien du tout……