Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MARQUIS DE SADE — 1780
157


bien [plus] menacée qu’on vous le dira. Ne dirait-on pas, à entendre madame la marquise, que notre amitié est un obstacle à favoriser mes amoureux ? Je ne l’ai jamais entendu comme cela. Vous êtes trop juste pour ne pas sentir que, vous ne pouvant faire, il faut tout au moins laisser faire, le tout pour tuer le temps et mes réflexions qui, à coup sûr m’auraient conduite au tombeau si je ne m’étais ravisée de faire l’amour. Je me porte beaucoup mieux depuis qu’on me dit : « Je vous aime ».


Gothon a abjuré pour avoir un mari. (12 février 1780).

Monsieur,

J’ai l’honneur de vous faire savoir que nous avons fini lundi au soir. M. le curé l’a trouvé à propos pour faire taire toutes les mauvaises langues des protestants. Quelques-uns des plus apparents se sont avisés de vouloir venir me faire quelque remontrance à leur guise ; je les ai payés de la bonne monnaie, leur faisant entendre de ne pas se donner la peine de m’en parler une seconde fois, et, de dépit, ils se sont attroupés un certain nombre pour me voir sortir de la messe, que j’ai assistée avec beaucoup de plaisir. Je les ai salués fort honnêtement, leur demandant des nouvelles de leur santé, et eux, bien surpris de me voir si résolue, ils croient me mortifier, mais ils se sont trompés. C’est ce qui m’a déterminée à finir car j’aurais bien désiré de vous y voir, monsieur, car vous êtes mon ange qui dirige mes pas. Il ne me reste plus qu’à vous remercier de toutes les peines, soins que vous avez bien voulu vous donner…… Cela s’est passé sans bruit, sans dépense, car je n’ai pas donné un verre d’eau à personne. M. le viguier vous le dira qui est un témoin.


Mademoiselle de Rousset ne veut pas céder à son mal. (3 mars 1780).

Ah ! monsieur l’avocat, je ne suis pas encore morte, mais de peu s’en faut ! Mon penchant à vous dire que je vous aime est bien fort puisque vous êtes le seul qui m’aiguillonniez à prendre la plume pour vous donner preuve de ma petite existence. Je commencerai demain le lait d’ânesse, ordonné pour deux mois, que je reprendrai en septembre si je vis encore, et puis nous verrons si j’irai vous embrasser en Provence. Sinon, nous nous embrasserons à la vallée de Josaphat, ce qui me paraîtra d’assez dure digestion et à vous aussi. Je sais que vous m’aimez !… Passons à des idées plus gaies. Les malades sont des sottes gens : ils voient plus souvent en noir qu’en couleur de rose. Ma feinte gaieté, et ma très sage et céleste raison, m’a tirée de plus d’un mauvais pas ; je vais faire tous mes efforts pour franchir celui-ci. J’ai à combattre contre un fonds de mélancolie qui est le propre de mon caractère. Il faut que j’en vienne à bout tout exprès pour vous donner des coups de poings ; je ne mourrai pas contente sans cela… Ainsi ne vous alarmez pas de mon indisposition ; je crois qu’en faisant les remèdes nécessaires je quitterai mon air blême pour reprendre un teint de lys et de rose qui vous assassinera à coup sûr……

14