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— VIII —

On trouve dans les ouvrages de M. de Sade les linéaments d’un système de matérialisme outré où il oppose, avec un sens assez neuf, le perpétuel ajustement des lois naturelles au flottement perpétuel des préceptes moraux que l’homme pare du même nom afin de substituer un ordre qui lui soit propre à celui de l’univers. Le marquis aimait les livres ; il en achetait beaucoup et les lisait peut-être ; en tous cas le catalogue de sa bibliothèque ne laisse point de doute sur l’éclectisme de son esprit et sur l’orientation de ses tendances. Il se plaisait surtout à réunir les ouvrages qui traitent de l’histoire naturelle, de l’histoire des mœurs (aussi bien chez les peuplades sauvages que dans les sociétés policées ou à leur origine), de celle des religions, des hérésies et des révolutions, et il partait de là pour affirmer que toute morale est hypocrite parce qu’elle tend à cacher, faute de pouvoir le résoudre, le conflit des postulats sociaux et des impulsions de l’instinct. Il a fait, dans ce sens, d’ingénieuses anticipations et des observations assez heureuses, et il n’en a pas fallu davantage pour que l’on voie en lui un précurseur de Lamarck, de Darwin, de Spencer, de Krafft Ebing, de Frazer, de Freud, d’autres encore.

Mais les recherches du marquis n’étaient pas désintéressées. Il s’inquiétait bien moins de découvrir la vérité que de se justifier lui-même et ce n’est point à sa méthode, mais à la vigilance de son œil, qu’il doit ses meilleures trouvailles. Peu lui chaut de saccager la moisson d’autrui pour faire lever son gibier. Il laisse divaguer sa pensée et s’amuse des conclusions auxquelles il parvient derrière elle. Il ne choisit ni ne médite ; il flaire plus qu’il n’invente. M. de Sade n’est jamais plus plaisant que lorsqu’il court à s’imprimer les talons au cul, mais c’est une grâce communément attachée à la quête du paradoxe : elle vient du détachement des idées moyennes et fleurit au premier palier de la supériorité intellectuelle. Il est sans doute piquant de faire un résumé de sa « doctrine », en soulignant tous les parallélismes de surface que l’on peut établir entre les rencontres qu’il a faites et le labeur de quelques esprits qui ont soumis leurs inventions aux disciplines de la connaissance, mais on leur prête ainsi un dynamisme qu’elles n’ont pas. Cette philosophie de braconnier n’est pas sans mérite (on verra, notamment, que M. de Sade avait un sens très fin des réalités politiques et comment il a tiré parti de cette clairvoyance en l’avilissant), mais elle varie avec son humeur et la nature de l’ouvrage qu’il compose. Il s’interrompt d’abattre, comme à prix fait, les colonnes